L'enfance, c'est cette partie de notre vie où l'on a l'impression que tout est rose, tout est beau. Qu'il est impossible que nous soyons atteins de quoi que ce soit. L'annonce, voilà ce qui qualifie le mieux cette période de notre vie, On ne peut pas dire que je le sois resté longtemps, Je me souviens, lorsque je n'avais que neuf ans. Mon père était loin d'être un homme fréquentable. Il buvait, passait ses journées au bar, laissant maman régler tout toute seule. Mon père, c'était le stéréotype même du goujat de première, le genre d'homme qui allait voir ailleurs dès que ma mère avait le dos tourné et une fois qu'elle était là, il ne faisait que l'insulter. Autant vous dire que ce n'était pas la joie. Un soir, il est rentré ivre mort. Furieux, comme jamais il n'avait été. J'étais loin de savoir ce qu'il se passait. Tout ce que je savais, c'est que dans ces moments-là, je devais absolument m'enfermer dans ma chambre avec Aria. Ma petite sœur. A cette époque, elle n'avait que six ans. J'étais le seul qui pouvait la protéger de ce monstre. Je verrouillais le loquet de la serrure et alla rejoindre ma sœur sur le lit pour la prendre dans mes bras. Lui boucher les oreilles pour qu'elles n'entendent pas les cris stridents de notre mère. Les larmes coulaient sur mes joues. J'étais impuissant. Je ne faisais pas le poids contre lui. Je ne pouvais pas la défendre. Un jour, je me le promettais, je lui tiendrais tête. Je le ferais partir, qu'il arrête de nous faire souffrir et qu'on puisse enfin vivre en paix. Surtout ma mère. Ce n'est pas son petit salaire d'infirmière qui nous permettrait de nous enfuir. J'avais l'espoir qu'un jour, tout finirais par s'arranger. En enfant innocent que j'étais. J'aurais dû me douter que la vie ne nous offre pas que des cadeaux.

 A l'adolescence, tout devient plus clair. On s'affirme, on finit par se découvrir des passe-temps ou des passions. On comprend que la vie n'est pas si rose. Cette dernière partie, je l'avais compris depuis longtemps. Je n'étais pas du genre à espérer le grand amour, à me dire que je serais quelqu'un d'important et que je changerais le monde. Il ne faut pas se voiler la face. Si je pouvais améliorer mon quotidien ce serait déjà bien. A seize ans, j'avais compris depuis longtemps que l'on ne me ferrait pas de cadeaux. Que je devais forger mon caractère pour éviter de me faire marcher sur les pieds. Je n'étais pas du genre à aller vers les autres, à faire des soirées tous les week-ends et on me verrait encore moins draguer toutes les filles que je voyais. J'étais peut-être décalé par rapport à ceux de mon âge, mais qu'est-ce que ça pouvait bien me faire ? J'avais d’autres chats à fouetter. Comme, travailler après les cours pour aider ma mère, protéger ma sœur de mon idiot de père et surtout, faire en sorte que le dit idiot ne touche jamais aux deux femmes de ma vie. Il paraît qu'à mon âge, je ne devrais pas m'occuper de ces choses-là, mais à vrai dire, je n'avais pas trop le choix. Mon père était un incapable. Un incapable qui a foutu en l'air toute ma vie. Une journée dont je me souviendrais toujours. Je rentrais des cours, l'après-midi se terminais à peine et j'avais un peu de temps avant de commencer le travail. Je décidais alors de rentrer à la maison pour me changer et déposer mes affaires. Mauvaise idée, très mauvaise idée même. Enfin, tout dépend le point de vue. En passant le pas de la porte, je ne pus ignorer les cris provenant du salon. Ma mère. Elle devait encore une fois être victime des excès de colère de mon géniteur. Je serrais les poings en posant mon sac dans l'entrée. Je n'avais plus dix ans. Je n'étais plus cet enfant inutile qui ne pouvait pas venir en aide à sa mère. Furieux, le corps tout entier contracté, je me dirigeais vers le salon. La vision d'horreur que j'eu en passant la pièce me glaça le sang. Mon père était en position de force face à ma mère, cette femme si frêle, si fragile et qui ne méritait pas ce qui lui arrivait. Elle ne pouvait pas bouger, il la tenait de façon ce qu'elle ne bouge pas. Il faisait en sorte d'être libre de tous mouvements. Mais plus pour longtemps. Je savais me défendre à présent. Ca avait assez duré, il était temps qu'il parte, qu'il nous laisse tranquille et qu'il emporte ses bouteilles avec lui. Je ne pouvais plus accepter. « Lâche-là ! »Tout en me rapprochant de lui, je rassemblais toutes les forces et le courage en ma possession. Ce minable était incapable d'aligner deux mots. Tout ce qu'il savait faire, c'était frapper sa femme. Non, je ne pouvais plus. Avec rage, je lui attrapai le col de son tee-shirt, le plaquant au sol et le frappant de toutes mes forces. Toute la rage, la colère, le dégoût, tout ressortait. Je frappais, encore et encore, n'entendant pas les cris de ma mère, les gémissements de mon père et mes propres insultes. J'étais comme dans un état second. En transe, oubliant tout le reste. Toute mon enfance, il l'avait volé. A cause de lui, je n'avais pas pu vivre comme les autres. Il était temps qu'il paye pour ses actes. Mes poings se faisaient de plus insistants. De plus en plus forts. Frappant chaque parcelle de son visage et de son torse. Je ne pensais pas aux conséquences. Je ne pensais pas qu'à cause de moi, il mourrait dans quelques heures. Je ne pensais pas à tout ça. Tout ce que j'imaginais, c'était une vie plus paisible, où ma mère n'aurait plus peur et ma sœur serait un peu plus joyeuse. Voilà ce à quoi je pensais.

L'amour, c'est un bien grand mot pour moi. Je n'y crois pas. Avec la vie que j'ai eue, je n'avais jamais pensé à trouver une personne pour partager ma vie. J'ai toujours pensé que ce n'était qu'un mythe, qu'on racontait ça pour laisser les enfants rêver, qu’ils ne se rendent pas compte que la vie est plus noire qu'il n'y parait. Pourtant, j'ai rencontré une fille. A la fin du lycée. Emma. Je ne m'y attendais pas et ça m'est tombé dessus, comme ça, sans prévenir. Elle m'a séduite avec sa spontanéité et sa joie de vivre. En clair, elle l'exact opposé de moi. On n'est peut-être pas faits pour finir notre vie ensemble, mais pour le moment, il est clair qu'on est bien ensemble, pour le moment. Malgré le fait que ce ne soit pas facile avec mon travail. Etre militaire peut-être clairement un problème pour vivre pleinement une vie de couple. On était ensemble depuis deux ans quand j'ai eu ma première mission. Je ne savais pas quand j'allais revenir mais on se promit de ne pas se laisser tomber. De toujours rester forts malgré les épreuves qui nous attendaient. En deux ans, il pouvait s'en passer des choses. J'avais vu des choses, fait des choses dont je n'étais pas fier. Aria me donnait parfois des nouvelles, Emma, de temps en temps. Ce n'était pas facile mais je tenais le coup en pensant à elles, qui étaient restées là-bas. Je n'avais pas tenu grâce à elle. Non, loin de là, Celle qui m'avait fait tenir toutes ses années s'appelait Swendylina. Elle ne connaissait rien de ma vie et pourtant, m'avait confié la sienne. Je savais tout d'elle et sans en avoir conscience, elle m'avait aidé à tenir, à rendre mon quotidien un peu plus appréciable. J'étais de retour à San Diego, et je lui avais proposé qu'on se rencontre. Je voulais découvrir qui se cachait derrière cette plume qui m'avait redonné l'espoir. J'étais même plus pressé à l'idée de rencontrer Swendylina que de revoir Emma. C'était bizarre, mais en ce moment, je me sentais bien plus proche de ma correspondante que de ma petite-amie. A croire que la vie nous réserve des surprises. Plus ou moins bonnes, que je n'attends pas spécialement de découvrir. Du moins pas toutes.