“Ca te dit qu'on bouge ?” Pas de réponse. Pour attirer son attention je lui agrippe le cou et me pend à ses épaules. Il ne réagit pas, ou juste à peine. Je l'entends soupirer dans sa barbe. “Tu joues depuis midi. J'suis pas venue là pour ça. Je m'ennuie.” James ne répond toujours pas alors je décide d'utiliser la manière forte. Je lui arrache la manette des mains et celui-ci pose enfin son regard sur moi. Sur l'écran de télévision, sa barre de vie s'épuise. GAME OVER. James me regarde déçu et après quelques secondes, il se jette sur moi. Allongé de tout son long, il agrippe mes hanches et m'embrasse. Je gémis légèrement face à ses mains bien trop encombrantes, ce qui le fait râler davantage. “Pas la peine de râler. On verra si t'es sage en rentrant.” James me demande où je veux aller alors je réponds : au skate park. Je le presse en le tirant du lit. Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous marchons jusqu'au skate park et je profite enfin du soleil. Il fait bon pour la saison. Allez lui faire comprendre à cet accroc du jeu. Après il viendra se plaindre quand il fera trop froid. J'ai horreur de l'hiver alors autant profiter tant que ce soit possible.
Si j'ai choisi de l'embarquer là-bas ce n'est pas non plus pour rien. Je n'ai pas ma planche aujourd'hui mais je ne comptais pas m'en servir. Pour tout avouer, j'ai simplement envie de voir Eli et prétendre une telle sortie en "amoureux" est un très bon prétexte pour expliquer ma présence. Quand il posera les yeux sur moi, alors je me sentirai contente, importante aussi. Même si nous en avions jamais parlé, je sais très bien que Eli ne supporte pas mon petit ami. Cela m'amuse, de le provoquer, de jouer. Si je le teste, c'est aussi pour me convaincre un peu plus que je ne peux me passer de Eli. Dans quel pétrin me suis-je embarquée ?

Nous arrivons et comme prévu, Eli est sur sa planche, en train de glisser sur une rambarde suspendue à quelques mètres en dessous du vide. Je souris en coin puis entraîne James jusqu'à un banc. Ce dernier s'assoit sur le dossier et j'en profite pour m'inviter entre ses jambes et nouer ses bras autour de ma taille. Ainsi perchée, je lui souris et glisse mes mains dans ses cheveux pendant que mes lèvres viennent chercher un baiser. Dans mon dos, je sens déjà son regard posé sur moi. Par cette boule au ventre, pour m'accrocher et ne pas défaillir je me presse davantage contre James, ses mains possédant la chute de mes reins jusqu'à s'autoriser une descente jusqu'à mes fesses. Je gémis entre ses lèvres en signe de désapprobation.

Jour de congé, Soleil présent, vagues absentes, c'est sans surprise que l'on retrouve Eli sur son skate. Ca fait deux bonnes heures qu'il enchaîne les figures avec plus ou moins de succès. Le skate park est devenu une aire de jeux n'ayant plus aucun secret pour lui, il en connaît les moindres pièges. Etant sans cesse en quête de nouveautés, il arpente souvent la ville à la recherche de lieux plus complexes. Mais il finit toujours par revenir à son premier amour pour y tenter de nouveaux tricks, s'élevant puis retombant sur sa planche souvent ou sur le bitume parfois. C'est une putain de bonne journée. Ils sont peu nombreux à rider et seul Andy a un niveau lamentable. Ca le fait sourire Eli de le voir insister et toujours autant galérer. Mais il lâche rien le jeune, et c'est bien pour cette raison que personne ne lui a encore ordonné de déguerpir.

C'était une putain de bonne journée. Qu'est-ce qu'elle fout là ? Franchement. Qu'est-ce qu'elle vient faire ici sans planche mais avec lui ? Lui, il s'appelle James, enfin il croit. C'est ce qu'elle lui a dit la dernière fois qu'elle l'a appelé. C'était quand déjà ? Il y a longtemps. Trop longtemps. Ou pas assez. Des fois il se dit que tout serait plus simple pour lui si elle arrêtait de se pointer dans sa vie sans prévenir. Mais qu'est-ce qu'elle fait là putain ? Il y a plus romantique qu'un vieux banc dans un skate park, non ? On est à San Diego, ils pourraient aller se balader sur la plage ou prendre un café en terrasse et profiter des températures étonnamment douces pour la saison ou même aller dépenser le fric de leurs riches parents, mais non, ils sont là. Elle le fait exprès, elle le sait que c'est son oasis ici. Et en même temps c'est se donner beaucoup d'importance que de croire qu'elle est là pour lui. Il en sait rien. Elle le... merde. C'est ça d'avoir les yeux rivés sur son ex alors qu'on skate : on perd l'équilibre. « Bordel de... » laisse-t-il échapper avant de se rattraper in extremis.
Sa maladresse n'est hélas pas passée inaperçue et le voilà à présent au centre de l'attention. Même James -qui avait pourtant l'air très occupé il y a quelques secondes- le regarde. Même elle. Faire comme si de rien n'était n'est pas une option. Soupir. « Nib. » dit-il, avant d'ajouter un signe de tête en guise de bonjour, tout en s'approchant d'eux. Pour une fois, il est bien content que Taj et Jay ne soient pas avec lui. Ils se seraient fait un plaisir de se foutre de lui et de lui rappeler comment elle l'a lamentablement largué. Ce n'est pas nécessaire. Il s'en souvient. « Vous avez oublié vos planches dans la Porsche c'est ça ? J'vous comprends ça m'arrive tout le temps. » dit-il avant d'arborer un faible sourire narquois. Petit con. Il le sait, l'argent fut un des domaines les menant inévitablement à des disputes. Ca et les filles. Et les potes. Et... Ouais, en fait, ils en avaient un paquet des sujets de discorde.

Au skate, Eli a toujours été doué. Je me rappelle de la première fois où je l'ai vu en train de glisser ici et là, côté gauche, côté droit, sur une barrière, sur l'arrête d'un mur. Des quelques chutes dont j'ai été spectatrice, de celle un peu plus grave où j'ai même eu peur. Les souvenirs remontent à la surface. Pour ne plus y penser, je laisse mes lèvres périr sur celle de James. A cet instant alors, j'entends Eli. Au loin, je l'aperçois en train de reprendre l'équilibre. Je profite qu'aucun des garçons ne me voient pour me mordre la lèvre inférieure. Par crainte mais aussi parce que ça m'a toujours plu de voir Eli en pleine action. Je pourrais rester là, des heures à le regarder faire. Nous regardons dans sa direction et j'entends déjà James pouffer de rire. Je ne réagit pas, l'humeur n'étant pas là pour me prendre la tête. J'ignore, je me contente de fixer Eli qui est à présent, fermement sur ses deux jambes. Il fait un signe de tête dans ma direction. Mes lèvres restent impassibles à tout sourire, pourtant je suis heureuse de le voir. Je baisse un instant les yeux pour regarder le bitume. Alors, un fin sourire s'autorise à arriver quand Eli me surnomme familièrement Nib. J'ai toujours aimé ça. James commence à faire son malin. Il rit sans discrétion. “C'est quoi ce surnom merdique ?” Sans plus attendre, je lui flanque un coup de coude dans les côtes. Je le regarde, les sourcils froncés. Son euphorie retombe mais bien décidé a emmerder Eli, James ne se gêne pas pour me tirer tout contre son torse. James aime lui faire comprendre que je suis sienne. Que pour Eli c'est du passé. C'est ce qu'il croit, que je lui appartient, mais je ne suis la propriété de personne. Je m'écarte aussitôt, coupant court à son plaisir, donnant un sacré coup à son égo. Je m'approche à la place de Eli et vient lui embrasser la joue en guise de bonjour. Un peu trop près de la bouche d'ailleurs. Je ris intérieurement de la réaction de James. Il tire à présent la gueule.

Je ne prends pas la peine de répondre à Eli concernant les planches. On s'en fiche. Je surenchéris. “Et ton vieux tacos tu le traines encore ?” Voiture un peu merdique mais que j'apprécie quand même. En souvenir aussi de ces fois où nous faisions l'amour à l'intérieur. C'est peut être un vieux véhicule, un tas de ferraille mais je la trouve largement plus confortable que celle de James. Bien trop étroite. Bien trop froide.

Sur mon poignet, James serre sa main. Je tourne la tête pour le regarder, mes cheveux alors, effleurant la joue de Eli. Par mégarde. “Je dois y aller, j'ai rendez-vous dans moins d'une heure tu te souviens ? A ce soir.” Il me vole un baiser. James en profite toujours. Il est affreux. Sa main effleure ma taille quand il s'en va. Et puis un silence, où je me retourne vers Eli. Je lui vole son skate des mains et monte dessus pour venir glisser jusqu'à une plateforme.

Spoiler:

Il a vraiment l'air con ce James. D'accord, il est grand, musclé, propre sur lui mais ce n'est pas une lumière. Trop insistant, trop limpide, il manque un peu de tact et de profondeur le garçon. Et ça n'a rien à voir avec une quelconque jalousie, c'est un fait. C'est indéniable. Qu'importe. Ce n'est pas comme s'il avait son mot à dire sur le choix de copain de son ex. Puis James prouve que son jugement est exact à chaque fois qu'il ouvre la bouche ou qu'il agit. C'est bon, je sais que c'est ta meuf, pas la peine de l'agripper comme ça devant moi. Son vieux tacos ? Bien sûr qu'il l'a toujours. Il n'a ni l'envie ni les moyens d'acheter mieux. Sa caisse ne lui sert pas à grand chose de toute façon. Il fait tout en skate. Ou lorsqu'il part en road trip avec la bande, ils prennent la voiture de Jay : bien plus classe et pratique. Avant, son tas de ferraille pouvait être utile. Avant il lui permettait de venir chercher Nib. C'était avant. Depuis, les quelques relations qu'il a entamées n'ont pas été couronnées d'un grand succès et la voiture n'a pas connu de folles aventures. Car elle est toujours là Ivy. Elle lui dit qu'elle ne veut plus de lui et puis elle réapparaît dans sa petite existence. Comme aujourd'hui.

Il n'a pas le temps de répondre que James prend la parole. Il doit partir. Eli se refuse tout commentaire sur le chagrin que suscite cette nouvelle. Ce serait de la provocation inutile. Il sait se tenir. Parfois. Le déserteur embrasse alors Ivy tout en ne quittant pas le jeune Cohen des yeux. Le message est clair et usé : je sais, elle est à toi. « A bientôt, hein. » lance Eli avec un sourire d'une hypocrisie à peine voilée. Il reçoit un charmant grommellement en guise de réponse et ça le fait sourire, pour de vrai cette fois. Alors qu'il regarde le petit fils à papa s'éloigner, la sublime Thornton en profite pour lui voler son skate et se lance à l'assaut d'une plate forme. « Hé ! » Il pourrait la poursuivre, l’attraper et, frêle comme elle est, skater tout en la portant sur son épaule. Elle aurait d'abord râlé et insisté -que dis-je ordonné- pour qu'il la pose, et puis elle aurait ri. Mais il ne le fera pas. Il lui a assez couru après. Les bras croisés, il la regarde rouler avec assurance. Elle domine le lieu. Elle n'est jamais qu'une figurante, elle a toujours le rôle principal. Quoiqu'elle fasse. Il se tourne vers Andy qui vient de s'asseoir sur le banc à proximité de lui. « Mec, je peux ? » demande-t-il en pointant du doigt la planche. Le novice acquiesce, essoufflé. Et voilà Eli reparti. Il rejoint Ivy en peu de temps et prend la même allure afin de rester à ses côtés. Cette dernière n'a encore rien tenté. Elle se contente de rouler, d'explorer. Elle  est concentrée, regarde droit devant elle, feignant d'ignorer qu'il est là. Il se décale alors un peu plus, il est si près qu'il peut sentir son parfum. Une idée lui vient et il dévoile ses dents dans un sourire. Son sourire, si caractéristique. « T'as probablement oublié tout ce que jt'ai appris, depuis l'temps. » Ca sonne comme un défi. Et il sait, elle ne va pas l'ignorer.

James s'en va et je ne lui accorde aucune importance. Sur le parking au dessus du skate park, la voiture file dans un nuage de poussière. En attendant, je suis déjà partie bien loin, à me contenter d'abord de glisser le long de quelques petites plateformes. Eli a bien sûr riposter quand je lui ai dérobé sa planche mais il ne s'est pas montré si mécontent. Bien au contraire. Dans le ton de sa voix, un semblant d'amusement ressortait. Je suis un peu plus loin encore mais derrière moi j'entends Eli arriver. Il me dépasse presque mais j'accélère pour retourner devant lui. On roule d'abord en silence. S'il nous arrive de nous disputer, parfois le silence est aussi une manière pour nous de parler. Dans ces moments là, on s'attrape d'ordinaire la main. Mais cette fois, c'est bien différent malheureusement. Je me retiens de commenter la situation et pour éviter tout débordement même si le contrôle est de mise depuis les sept mois passés, je m'échappe en envoyant le skate un peu plus vite. Je dépasse une autre plateforme et redescend en apercevant le sourire de Eli.

Alors, ma bouche s'étire aussi, dévoilant mes dents blanches. Je passe une main dans mes cheveux. “Tu serais surprit en fait. Paraît-il que je me suis améliorée. Et la figure la plus compliquée que tu m'as apprise, figure toi que c'est assimilé.” Et puis sur ces mots, je fonce vers Eli et le contourne, toute proche. Effleurant sa main, ce n'est à présent qu'une sensation de toucher qui reste sur ma peau. J'aurai peut être pas dut faire ça... Ma silhouette fonce, accélère - jusqu'à la plus grande plateforme du parc. J'inspire un grand coup avant de progresser jusqu'en haut. Je fléchis les jambes en retenant le skate puis effectue une figure se terminant glissée sur le rail. Je chute parfaitement et glisse sagement dans sa direction. Je récupère la planche entre les mains n'attendant que son avis. “Alors ?” Je lui fait mon plus beau sourire.

Il pensait qu'elle avait délaissé le skate. Les peu de fois où il l'a croisée ici, elle a amené un tout autre accessoire que sa planche : James. Peut-être est-elle venue lorsqu'il travaillait ou s'est-elle entraînée ailleurs. San Diego regorge de coins intéressants et bien que ce skate park soit le plus populaire pour les jeunes de la ville, ce n'est pas le seul. Il ne demande qu'à être surpris. C'est une des choses qu'il aime chez elle. Il ne la quitte pas des yeux, la laisse lui tourner autour et s'échapper. Encore. Toujours visiblement pleine d'assurance, Eli est pourtant certain qu'elle a une petite boule au ventre. Elle vient de lui promettre étonnement et sensation, elle n'a pas le droit de se planter ou les sarcasmes du jeune homme pleuvront sur elle. Mais c'est parfait. C'est même impressionnant. Il sourit alors qu'elle revient vers lui. Elle est fière d'elle et ça lui rappelle la première fois qu'ils se sont rencontrés. Quand tout était simple et sans drame. Sauf que cette fois, elle veut son avis, elle ne s'en va pas la tête haute attendant qu'il lui court après. Il hausse les épaules et feint l'indifférence. « Ouais, pas mal. » dit-il d'un ton neutre avant de rire face à la moue d'Ivy. « Nan, c'était pas loin d'la perfection. Evidemment, si t'avais continué à t'entraîner avec moi, ce serait encore mieux, mais bon. » Il sourit affectueusement. Ce n'est en rien un reproche, ni une tentative de mettre le feu au poudre. Juste une raillerie. Espérons qu'Ivy l'entende ainsi.

Andy les rejoint en courant. Eli l'avait presque oublié. En fait, il l'avait oublié. C'est con mais quand elle est là, il a un peu tendance à oublier les autres. Il lui rend son skate et le remercie. Dommage, il aurait bien voulu rider avec Ivy un peu plus longtemps. Une autre fois, peut-être. De toute manière l'aire commence à se remplir, les jeunes sortent du lycée ou de la fac et viennent directement ici. Il faisait pareil. « On s'assoit et note les plus belles chutes ? » propose-t-il. Eli déteste quand les spectateurs se foutent des skateurs qui se plantent sauf si ce sont d'autres skateurs. Ils tombent tous, ça arrive. Le seul qui ne finira pas contre le bitume est celui qui ne prend pas de risques. Alors ça leur arrivait assez souvent, à tous les deux, de commenter discrètement les ratés de leurs camarades. Ils ont le droit, eux. Eli est le premier à rire lorsqu'il s'écrase sans élégance sur le sol, ça fait partie du plaisir. Ils s'approchent des modestes gradins aménagés : ils offrent la meilleure vue. Le jeune Cohen grimpe le premier puis tend la main à Ivy pour l'aider à franchir la haute marche. Simple galanterie. N'y voyez rien de plus. Et pourtant lorsque celle-ci accepte son invitation, grimpe et se trouve tout près de lui, un certain malaise apparaît. Ca ne dure pas longtemps mais ça suffit à le perturber. Merde, quel effet elle a sur lui...

Le fait d'apprendre que je n'ai pas arrêter le skate semble un peu l'étonner. C'est vrai que c'est grâce à Eli que j'ai découvert le skate. J'ai toujours été fasciné par ce sport mais je n'ai jamais vraiment osé commencer. Pas peur de me faire mal. Cependant, la première fois que je suis montée sur une planche n'a pas été aussi catastrophique. C'était l'un des meilleurs après-midi que j'ai passé avec Eli. Il a bien rit de certaines de mes maladresses mais d'humeur bon enfant, et aussi surtout parce que je ne pouvais pas lui en vouloir tellement j'étais perturbée par sa présence, j'ai partagé son euphorie. Il arrivait aussi qu'il skate avec moi sur sa planche. Accrochée à sa taille je profitais du voyage. Je n'ai rien dit. Si j'ai continué, c'était pour lui montrer que je restais motivée vis à vis de ce sport. Si je me relevais, c'était à la fois pour moi et pour lui. Ressayer, ne pas perdre courage comme il me répétait toujours.

Alors, je souris à sa remarque et ne désapprouve pas son rire quand il fait face à ma moue boudeuse. Je lui envois même un coup de poing dans le torse. A sa deuxième remarque, je réponds, l'air taquin mais tout à fait sérieux. “Rien ne nous empêche de continuer.” Ce sera largement plus intéressant que d'apprendre à jouer à la play...

Au loin, Andy court - nous rejoignant bien assez tôt. Je remarque alors à mon tour que les lycéens se ramènent. J'aurai bien profité un peu plus du parc avec Eli. C'est pourquoi j'accepte sans hésitation l'idée de regarder les autres. On se hâte jusqu'aux pseudos estrades. J'agrippe sa main pour me hisser jusqu'en haut, accrochant ses yeux par la même occasion. Nous sommes proches plus que jamais. C'est étrange mais ça ne me déplaît pas. Je croise les jambes et me penche un peu en arrière pour m'appuyer sur les mains. Je regarde les jeunes glisser sur les skates, rouler sur leur bmx ou leur rollers. Le vent vient caresser nos joues et s'invitant dans mes cheveux, relève un peu mon parfum dans l'air. Attiré par un adolescent, je me redresse d'un coup et vient cogner son genou, exprès aussi. Il faudrait que j'arrête de me montrer aussi tactile...non ? Je pointe le jeune du doigt et dit : “Je le sens bien lui.” Le jeune entreprend une figure. Cocasse. Il chute, on entend sa plainte mais sans perdre courage il remonte sur sa planche. “Huit sur dix.”
Regarder les autres au loin me retient surtout de le fixer lui. Eli a toujours eu le don de me fasciner. Cependant, la tentation est trop forte. Je tourne la tête vers lui et humecte mes lèvres. Sa petite barbe, sa légère moustache et ses cheveux d'un noir intense. Comme la magie qui niche au fond de ses yeux. J'inspire profondément et retiens un soupire. Mon regard glisse sur l'arête de son nez puis sur ses lèvres. Un peu trop longtemps d'ailleurs. Je baisse alors les yeux et éloigne ma jambe de la sienne pour la remettre où elle devait se trouver normalement. Un sentiment étrange m'envahis mais je ne veux pas le montrer.

En fait, il y a pas mal de raisons qui les empêche de continuer à rider ensemble. Mais il se retient bien de les énoncer. Il n'a pas envie de briser l'instant. Il retrouve l'Ivy avec qui il a passé de si bons moments, il ne veut pas la perdre au profit l'Ivy capricieuse. Il sait que c'est inévitable. Mais pas tout de suite. Non. Ils s'assoient. Le spectacle promet d'être impressionnant ou piteux selon qui s'élancera devant eux. Eli a bien envie de se rouler un joint mais il se retient. Ca l'étonne toujours de penser que la jeune Thornton n'a jamais fumé. Il n'avait pas réussi à arrêter, que ce soit la clope ou la weed, lorsqu'ils étaient ensemble mais il avait diminué les doses, il avait fait des efforts, attendant d'être seul ou sans elle pour s'en griller une. C'est le genre d'habitude qui reste. En allumer une maintenant, ce serait dire : je n'en ai plus rien à faire de toi, je fais ce que je veux. Mais il ne le fera pas. Il tripote son briquet comme pour s'occuper les mains, sa jambe droite bouge légèrement. Il est monté sur ressort, il est complètement immobile uniquement quand il doit tatouer quelqu'un. Question de concentration. Ivy, toute décontractée, se relève d'un coup : quelqu'un a du attiré son attention. Elle est si proche, il a presque l'impression qu'ils sont revenus en arrière, et qu'il pourrait poser sa main sur la cuisse de la sublime créature sans que ça ne soit étrange. Et pourtant ça le serait. Clairement. Elle lui montre un adolescent et, en effet, elle ne s'est pas trompée, quelques secondes après le voilà à terre. Pas mal. Eli consent à la note donnée d'un signe de tête. « Ca commence fort, il va pas être facile à battre. »

Le jeune Cohen range son briquet dans sa poche et commence à scruter plus intensément le skate park : il se doit de trouver un meilleur candidat, une meilleure gamelle. Les skateurs suivants sont relativement moyens, rien de notable. Il sent alors le regard d'Ivy posé sur lui. Un regard insistant. Il se sent étudié mais décide de la laisser faire. Ca ne serait que trop bizarre de l'inspecter aussi et d'ensuite se regarder dans le blancs des yeux, complètement gênés et confus. Il ne fait rien, se contente de fixer les sportifs. Et puis, tout s'arrête. Elle baisse faiblement la tête et s'écarte de lui. Il ne sait pas quoi en penser. Ca le fatigue. Il a l'impression de marcher sur des œufs lorsqu'il est avec elle. Il ne veut pas l'effrayer, il ne veut pas la faire fuir, encore. Lui, d'ordinaire si impulsif, est obligé de prendre son temps avant d'agir. C'est épuisant. Alors il décide de crever l'abcès quitte à l'envoyer directement dans les bras de James. Il se tourne vers elle, l'air sérieux. C'est un air qu'il n'arbore pas souvent. Il a généralement ce petit sourire en coin qui dit : la vie est facile, pourquoi s'en faire ? Il attend qu'elle relève les yeux vers lui. Elle met quelques secondes à se décider. Il se tient un peu plus droit comme pour se donner du courage et se lance : « Qu'est-ce que t'attends de moi en fait Nib? » Son ton est calme, il n'y a ni reproche ni agressivité dans sa voix, il veut juste comprendre. C'est tout. Il ne veut pas que cet après-midi soit un simple bon moment qui se finira sur un air de rupture comme ils en ont eu si souvent ces sept derniers mois et qui l'ont laissé dans l'incompréhension totale.

Soudain, le ciel - les skateurs, le gravier, les rampes semblent plus intéressant que tout. C'est agaçant de sentir son coeur battre aussi fort dans ma poitrine. C'est quelque chose d'incontrôlable malheureusement. Au point où j'en suis, je ne suis pas certaine que ce soit possible de retrouver mon sang froid. C'est fini. Un regard de trop, un geste de trop, un mot de trop. Le malaise est bien là. J'ai tout foiré. Je me pince nerveusement la langue. C'est aussi pour éviter de dire quelque chose que je regretterai. Des déclarations blessantes ou surtout très gênantes. En fait, c'est surtout par crainte de révéler quelque chose que je n'ai pas le courage de m'avouer déjà personnellement... Je ferai mieux de partir mais, ce serait lâche. Cela est loin de me ressembler, j'ai toujours fait face aux problèmes, alors pourquoi pas encore une fois ? Je n'ose simplement plus recroiser son regard. Et à présent, je sais bien qu'il me fixe. Sa voix fini de m'achever. Ces mots agitent davantage mon coeur ; cela tambourine énormément dans ma poitrine. Je commence à avoir les mains froides, chaud. Le coeur en vrille et le corps en alerte. C'est un total électrochoc. Je dois me ressaisir et le fixer. Alors, j'inspire d'abord profondément. Et merde, ça fait mal... Son regard est perturbant, plus que jamais, plus que les autres fois.

A présent, je m'en fou du monde tout autour. Je me fou de ce vent qui refroidit ma peau. Je me fou de tout. Je ne vois que Eli et ses yeux transperçants. Je regrette depuis le jour où j'ai osé rompre avec lui. Une fois de plus, le voir si proche mais si loin à la fois me fait culpabiliser. Je me mords à présent la lèvre inférieure. Après sa question, un long silence se pose. Je me contente de le regarder. Avec une étrange parade dans les yeux.

Je vais pas lui sortir tout ça. Il va me rire au nez. Je suis pas certaine de mériter quoi que ce soit. Il n'a rien à se reprocher, il a tous les droits de me faire payer. Et même si ça me rend malade de le voir avec d'autres filles, je l'ai mérité. Même si j'ai tout simplement envie à chaque fois de réagir. Par exemple quand j'ai la bonne idée de passer devant l'institut où il travaille, de regarder par la fenêtre et de flinguer cette fille qui est avec lui presque tout le temps. C'est quoi le bordel ? Merde, Ivy. Reprends toi. En pensant cela, tes sourcils froncent. “Je n'attends rien de toi Eli. C'est pas toi le problème...”
Qu'il comprenne de lui même que le soucis vient de moi. Je prie intérieurement tout en ne lâchant pas son regard. Et je ne réagit pas au fait que mes doigts soient proches des siens, aussi.

Le silence d'Ivy lui paraît interminable. Eli n'aime pas vraiment le calme. Il aime le bruit, le chaos. Il aime parler aussi. Beaucoup. Alors les silences, ça le met mal à l'aise. A part en quelques rares occasions où les yeux et les gestes suffisent. Il a connu ça avec elle, mais ce n'est pas un de ces moments. Elle se mord la lèvre et il se dit que lui aussi il a envie de la mordre cette lèvre. Elle a l'air perdu, en pleine réflexion et il aimerait se trouver dans sa tête là maintenant. Peut-être qu'ainsi il comprendrait enfin ce qu'il se passe : si elle se joue de lui comme tous ses potes le lui répètent sans cesse, ou si elle cache quelque chose. Mais quoi ? Que pourrait-elle bien cacher ? Il n'en sait rien. Ca ne lui paraît pas si compliqué à lui : soit elle le veut, soit elle ne le veut pas. D'accord, ils n'étaient pas un couple parfait mais ils peuvent essayer, non ? Ils ne peuvent que s'améliorer. Puis, lui, il n'en veut plus de ces moments volés qu'elle partage avec lui entre deux rendez-vous avec son mec officiel. Ca fait sept mois à présent qu'elle l'a jeté misérablement. Et ça fait sept mois qu'elle l'empêche d'avancer. Ca suffit.

Il attend, faussement patient, réellement curieux. Elle fronce légèrement les sourcils et ça lui arrache un bref sourire. Il aime quand elle est sérieuse car son visage reste enfantin. Et enfin, elle prend la parole. Elle lui offre une réponse qui n'arrange rien, qui ne fait pas avancer d'un poil leur problème. C'est obscur, un peu mélo. C'est pas toi, c'est moi. C'est un peu facile comme excuse. Elle ne va pas s'en tirer si aisément. Le jeune Cohen laisse échapper un soupir non dissimulé et la lâche des yeux un bref instant. Ceux qu'il repose sur elle sont plus sombres, moins sages que les précédents.  Il a perdu un peu de son calme. « T'as raison Ivy, c'est pas moi l'problème. Mais c'est quoi le putain de problème alors ? » Il hausse un peu le ton, il ne voulait pas. Trop tard. Tant pis. Il n'a pas envie de se contenir à nouveau. Il a toujours été honnête et entier avec elle, qu'elle fasse de même. Il est temps.

Il ne lâche pas du regard. Elle n'a pas vraiment d'issue. A part peut-être se mettre sur la défensive. Et elle est plutôt douée à ce jeu. Mais il n'a pas l'intention de la laisser se défiler. Les rôles sont inversés. Il a l'impression que, pour la première fois depuis leur rupture, c'est lui qui tient les rennes et c'est une sensation relativement agréable. Malgré la situation, il se sent soulagé. Quelle que soit sa réponse, il aura au moins essayé.

Je ne suis pas prête à arranger les choses en agissant ainsi. Déjà, à lui balancer ces mots puis à le regarder ainsi. A me comporter d'une façon qui ne me ressemble pas. La seule chose dont je suis capable à cet instant c'est de me mordre les lèvres. Je vois ses yeux dériver sur ma bouche à ce moment là. Va-y qu'est ce que tu attends ? Qu'est ce qui te retiens Eli ? Je connais déjà les réponses à ses questions. Il n'osera jamais. Et dieu sait combien j'en crève. Il semble être désireux aussi. Pour faciliter les choses, j'arrête de maltraiter mes lèvres. Est-ce que je me rends compte que c'est autant difficile pour lui que pour moi ? En vérité, dans l'histoire c'est sans doute lui qui morfle le plus. Je n'ai pas le droit de lui infliger ça et pourtant cela dure depuis sept mois.

Ce dont j'ai envie là, tout de suite c'est de partir. M'enfuir loin et ne plus jamais revenir. Mais je sais bien que c'est impossible. Déjà, cela ne me ressemblerait pas. Et deuxièmement, j'aurai d'autant plus de chance de le perdre. Car je sais au fond qu'un peu plus tous les jours je ne fais que m'éloigner de lui. Qui ne serait pas lassé d'une situation pareille ? Il arrivera bien un jour où Eli m'enverra voir ailleurs. Sunn m'a bien averti mais c'est plus facile à dire qu'à faire. C'est dur de trouver les mots pour lui avouer ce que j'ai sur le coeur. Pour l'instant, Eli reste là, très attentif aux moindres gestes que j'entreprends. Un fin sourire déchire ses lèvres, dévoilant quelque peu ses dents. Mon coeur palpite. Ma raison me dit : écoute ton coeur. Mais ce n'est point dans mes habitudes. Il faudrait peut être que cela change, non ? Pas tout de suite. Alors, je me contente d'une explication bidon mais pas tant que ça. Cela ne lui plaît pas. Eli soupire franchement avant d'accrocher une nouvelle fois mes yeux. Le brun de ses pupilles est plus sombre. Sur son visage, je lis la colère, la frustration. Mon ventre se serre. Eli perd ses moyens et ses mots ne font pas du bien.

Je me sens tout d'un coup plus oppressée, prisonnière. Ce n'est pas habituel et bien que j'ai en horreur l'idée de perdre le contrôle de la situation, voir Eli prendre de l'assurance comme ça me fait de l'effet. Je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas comment articuler mes mots. C'est le bazar dans ma tête. Je cherche mes phrases mais ça ne marche pas. Alors, je sens la colère arriver. Je me lève d'un coup. “Tu...tu, t'es pas croyable Eli !” Voilà que je repose sur lui une pluie de reproches alors que ce n'est pas lui le fautif. “Si tu crois que ça me plaît d'être comme ça, tu te trompes ! C'est aussi invivable pour moi que pour toi Eli ! Et puis tu...” Un injure. Je fais les quatre cent pas en quête d'un chemin pour partir mais Eli se tient devant moi. “Pousses toi. Dégage de mon chemin Eli !” Il est si proche que nos visages le sont aussi. Je décris son visage. Je lui balance un misérable coup sur le torse. Je serai presque à deux doigts de lui sauter au cou. Un cri intérieur. Pour le contourner alors, je me dessine de grimper sur les sièges un peu plus haut. Ce que je fais. Sur mon poignet, je crois ressentir sa main alors je tire mon bras avec fermeté. Prête à déguerpir.

Non, je n'ai pas le courage de mettre des mots sur ce que je ressens.
Ce serait vraiment plus simple si Eli comprenait où je voulais en venir. Juste comme ça, en me regardant. Mais non, la vie en a décidé autrement. C'est beaucoup moins simples que dans les rêves. La nuit, je rêve de Eli et le matin quand je me réveille c'est la chute. Je ne vois que James et j'aimerai retrouver Eli à sa place. Me serrer contre lui, embrasser sa peau. L'aimer jusqu'au petit jour. Encore, un peu plus tous les jours. L'aimer plus qu'hier et moins que demain.

Invivable pour elle ? Elle l'a largué, elle est maquée avec monsieur parfait, elle l'a lui qui revient à chaque fois qu'elle le lui demande. En quoi est-ce invivable pour elle ? Bordel Ivy explique-toi au lieu de tenir des discours qui n'ont pas de sens. Il ne le dit pas à haute voix. Ce n'est pas la peine, il l'a poussée à bout et elle ne lâchera rien. Elle s'est braquée et il n'y a plus de retour en arrière possible. Pas aujourd'hui. Comme dernière tentative, Eli se lève quand même, l'empêchant de passer. « Je quoi ? » Il a envie de la secouer. Parle-moi, putain. Mais elle n'en fait rien. Elle veut juste s'enfuir, il le voit bien. C'est con, c'était une si bonne journée. Elle lui ordonne de se pousser, elle est si proche. Il veut la prendre dans ses bras, lui dire que tout ira bien, qu'elle peut tout lui avouer. C'est drôle. Un instant il veut lui hurler dessus, il aurait presque besoin de la baffer bien qu'il ne le fera jamais et la minute suivante il veut la protéger. Il se rend compte qu'elle est plus fragile qu'il ne le pensait. Elle n'est pas juste cette enfant trop gâtée qui est habituée à obtenir ce qu'elle désire. Il y a plus en elle. Il y a quelque chose de triste et, en réalité, il n'est pas sûr de pouvoir gérer ça. Elle le cogne. C'est le coup du désespoir, il n'est pas d'une violence intense, loin de là. Il a connu pire. Même de la part d'Ivy. Elle grimpe sur la marche du dessus, il tente de lui attraper la main, sans la brusquer. Il fait même preuve d'une étonnante douceur compte tenu de la situation. Mais ce n'est pas son cas, elle tire fermement et il n'insiste pas. Ca ne sert à rien. Il a compris.

C'est ça, enfuis-toi, c'est tellement plus simple. Rejoins donc James, lui au moins il ne te pose pas de questions. Voilà ce qui lui traverse l'esprit, mais Eli ne dit rien. Il la regarde s'éloigner, dépité. Sa colère est retombée aussi vite qu'elle est venue. Il est simplement déçu. Il se dit que maintenant c'est peut-être vraiment fini. Cette journée est un peu à l'image de leur relation : du bon suivi d'une confrontation et l'un d'eux qui se casse. Ivy, principalement. Il est peut-être temps de passer à autre chose mon vieux. Il se penche calmement, attrape sa planche et glisse vers le half-pipe : son module de prédilection. Ca le remettra de bonne humeur... puis, au moins, il pourra se faire un joint tranquille après.