« Tristan enfile ton pull maintenant. » « Mais je veux pas y aller ! » « Je t'ai déjà dit que tu n'étais pas assez grand pour rester tout seul à la maison. La nounou n'est pas disponible, donc tu viens avec moi choisir les meubles pour la nouvelle maison. » « J'ai pas envie ! » « Tu n'as pas le choix, quand Papa dit que tu fais quelque chose, tu le fais, c'est tout. » « Pfou ! » Le garçonnet venait de claquer la porte de sa chambre en signe de protestation, ce geste fit lever les yeux au ciel à Vassili. « Si tu es sage, on s'arrêtera acheter de la glace pour le dessert de ce soir. » « Vrai ? » « Si tu viens sans faire d'histoire et que tu sors de ta chambre habillé. » Les pas courraient sur le parquet, entendre son fils glapir d'excitation à l'idée de manger sa glace Ben&Jerry's préférée faisait rire son père. « Attention je vais partir dans deux minutes... » « Je suis prêt ! » Se baissant pour se mettre à la hauteur de son fils, Vassili réajusta la tenue de son fils avant de l'embrasser. Ce garnement n'était pas toujours facile à vivre mais il restait son rayon de soleil. D'un geste rapide Côme attrapa son iPhone, son porte carte en cuir et ses clés.

Ils avaient pris un taxi. Depuis que ses parents et ses beaux-parents lui avaient envoyé un chèque coquet, leur niveau de vie s'était largement amélioré. Vassili savait bien que ça ne durerait pas très longtemps, mais pendant deux ou trois mois ils pouvaient vivre une vie normale sans réfléchir trop. Puis son nouveau boulot payerait, pendant qu'il pompait sur l'argent donné, il mettrait de côté ses salaires afin de faire des économies. Mais pour l'instant ils devaient meubler leur nouvel appartement et, fan des meubles de caractère, Vassili voulait faire les antiquaires. « Tu te tiens bien, sinon pas de glace. » Puis il entra dans la boutique accompagné de son gamin. Same as if never was antiques. Le nom était amusant mais Vassili espérait surtout dégoter ici quelques objets de qualité. Tristan lui lâcha la main tout en restant à côté de lui sous le regard désapprobateur de son père qui le mettait en garde silencieusement. « Bonjour. » lâcha-t-il à l'attention du personnel, plus pour manifester sa présence que pour forcément demander de l'aide. Il s'attendait à voir un vieillard lui demander s'il voulait une armoire Louis XV ou un canapé Empire. Il n'allait pas être déçu.

You break it, you buy it
☽Le début de l'après-midi s'annonçait calme et reposant. Après une livraison dans la matinée, j'avais du boulot dans la réserve. Répertorier les meubles et objets reçus, mettre un prix et les étiqueter pour ensuite les mettre dans la boutique et les vendre. Le Same As It Never Was Antiques regorgeait de petits trésors, certains datant plus que d'autres mais ayant toujours ce charme qui leur appartenait. Je filais donc dans l'arrière boutique où j'avais entassé la livraison du matin pour travailler dessus. Je les déballais, les observais, les regardais avec toute mes connaissances en histoire pour en tirer le prix adéquate. Ni trop fort, ni trop peu. Le juste milieu pour ces trouvailles achetés dans une vente aux enchères quelques semaines plus tôt. J'étais préoccupé par certains détails quand la porte sonna. Un client venait d'entrer. Je terminais et déposais mon stylo sur la table. « Bonjour. » Je réapparus dans la pièce principal et mon regard se posa directement sur le père de l'enfant qui faisait les gros yeux à son fils. Et il avait raison ! On n'était pas dans un magasin de jouets. Le gamin devait faire attention et c'était sans doute les derniers du jeune homme envers sa progéniture à en voir leur échange. « Bonjour. » Lançais-je d'une voix douce en direction du client. Je jetais un regard vers son gamin qui me fixait et lui souriais. Je me dirigeais alors vers la comptoir où mon ordinateur portable était allumé et vérifiais une donnée.

Dans mon coin, je gardais un œil sur les deux personnes arpentant ma boutique et en particulier sur le gosse qui semblait vouloir faire ce qu'il veut malgré la présence de son père. Je soupirais légèrement. L'autorité parentale n'était plus ce qu'elle était et les gamins se permettaient de plus en plus de choses. D'ailleurs, l'enfant ne tarda pas à passer devant moi. Je me levais et passais à côté de lui, en lâchant un commentaire sur les intentions que je pouvais lire sur son visage. « Fais attention, p'tit. Tout ça est fragile. » Et je le fis un clin d’œil avant de reprendre mon chemin pour me présenter à son père. « Je peux vous aider ? » Demandais-je poliment au client. J'attendais sa réponse quand un vacarme inattendu me surprit. Je me retournais brusquement et sans que je ne réfléchisse longuement je compris qu'elle était la raison de tout ce bruit. A moitié désespéré, je posais mes mains sur ma taille quand je me retrouvais face au gamin et à ses conneries. « Ça va, tu n'as rien ? » Oui, malgré cette colère je ressentais en moi, je devais rester le plus zen possible. L'image négatif du propriétaire pourrait avoir des conséquences fâcheuses sur la fréquentation et sur les ventes. « Écartes-toi, fais attention où tu marches et vas rejoindre ton père. » Je le regardais partir en courant. Je levais les yeux au ciel. Mon dieu quel bordel ! Je retournais donc dans l'arrière boutique pour chercher un balai et une pelle. Le lustre Louis XIV et les verres espagnols venaient de rendre l'âme. Des pièces rares qui, finalement, avaient fais leur temps avant de se ramasser sur le sol de ma boutique. J'en étais vert...

« Bonjour ! » Si je m'y attendais ! Un mec, un vrai, un type grand, musclé, tout ce qu'il y avait de plus séduisant. Pas un vieux bigleux qui sentait la poussière, enfin, de là où il était même s'il avait eu une odeur de rat de bibliothèque je n'aurais pas pu le sentir de toute façon. Alors que Tristan marchait à quelques pas de moi avant de s'éloigner dans l'allée je m'intéressais à un lot de chaises tout à fait remarquable. J'allais m'adresser au propriétaire -car ça ne pouvait pas être un simple employé, personne n'aurait voulu travailler dans une boutique d'antiquités si ce n'était pas la sienne et le fruit de sa passion- quand sa voix trancha le silence religieux de la boutique. « Fais attention, p'tit. Tout ça est fragile. » Mon regard partit immédiatement en direction de Tristan. Ce pauvre homme n'en savait rien mais en disant ça il venait de ruiner tout le travail de persuasion que j'avais mis en place. En soumettant implicitement l'idée que ses actions pourraient briser des objets de valeur, il venait de déclencher une pulsion chez Tristan que je ne pouvais, malheureusement, que comprendre. Après tout casser de la vaisselle pouvait être très libérateur. « Je peux vous aider ? » « Combien pour ce lot de qu... » Le fracas résultant des actions de mon fils retentit à nos oreilles, alors que je me figeais ce type réagissait avec efficacité, s'enquérant de la santé de mon enfant et me l'envoyer. Probablement pour éviter de l'étriper.

Alors que Tristan s'accrochait à ma jambe, je me mettais à sa hauteur, les yeux dans les yeux. Une colère sourde grondant dans ma voix. « Inutile de préciser que tu n'auras pas de glace. Maintenant je vais être très clair, pendant que le monsieur du magasin est en train de réparer tes bêtises. Tu vas t'asseoir devant le bureau et tu vas réfléchir à ce que tu viens de faire et à comment tu pourrais te faire pardonner, pendant que Papa va acheter des meubles. » Une pause le temps qu'il ingurgite les nouvelles. « Si tu fais encore un seul pas de travers, on réglera nos comptes à la maison. Compris ? » Après un petit oui de sa part, je me relevais et le faisais s'asseoir contre le meuble qui faisait office de caisse, lui tendait un livre pour enfant suffisamment épais pour l'occuper. Puis d'un pas qui se voulait souple mais qui était encore empreint de ma nervosité j'approchais de l'antiquaire qui était en train de ramasser les débris.

Trouve quelque chose à lui dire Vassili, allez... « Désolé... je vais prendre les débris à la maison et vous payer pour la casse. Avec un peu de chance j'arriverai à faire de l'art contemporain en recyclant un très joli... Lustre Louis XIV ! » C'était pas vraiment la meilleure façon de se mettre quelqu'un dans la poche mais je n'étais pas forcément la personne la plus talentueuse quand il s'agissait de détendre l'atmosphère après que mon fils ait brisé des antiquités. « Moi qui comptais refaire tout mon mobilier aujourd'hui, on dirait que mon fils préférait les meubles ikea sans savoir comment me le dire... » Il y avait du mieux, à ce rythme là peut-être qu'il finirait par se détendre lui aussi.

You break it, you buy it
☽Après les dégâts du môme, j'avais pris pelle et balai pour nettoyer ses conneries. Adieu le lustre d'une glorieuse époque... Adieu les verres espagnols... Tout ceci n'était que matériel. Le gamin n'avait rien mais j'étais tout de même frustré de la situation. Il venait de faire voler des objets historiques en un rien de temps alors que j'avais mis des mois à les trouver. Nettoyant le sol de tous ces bouts de verres, j'écoutais en douce les paroles moralisatrices du père envers son fils. « Si tu fais encore un seul pas de travers, on réglera nos comptes à la maison. Compris ? » Bien envoyé ! Je regardais alors le gosse s'installer près du bureau me servant de caisse et lire le livre que son père lui donna. Je soupirais. J'étais d'une certaine manière rassuré. Là-bas, il ne ferait plus de bêtises. Là-bas, il laisserait ma boutique saine et sauve. A moins qu'il ne s'attaque directement à la caisse et à mon ordinateur... Mais passons, puisque le jeune père s'avançait vers moi. Je lui souris, terminant de mettre les verres brisées dans la pelle. « Désolé... je vais prendre les débris à la maison et vous payer pour la casse. Avec un peu de chance j'arriverai à faire de l'art contemporain en recyclant un très joli... Lustre Louis XIV ! » Je riais légèrement, appréciant son humour décalé vu le désastre commis par son enfant. J'étais toujours énervé et en colère mais le père de famille réussissait tout de même à m'apaiser et je ne savais pas comment il y parvenait. « Moi qui comptais refaire tout mon mobilier aujourd'hui, on dirait que mon fils préférait les meubles ikea sans savoir comment me le dire... » Je rigolais à nouveau tout en jetant ce lustre et ces verres brisées dans un carton que j'avais déposé au pied de mon bureau. Une chance que je l'ai fais.

Je rangeais la pelle et le balai dans la réserve et retournais voir mon client et son gamin. Je déposais d'ailleurs une main sur sa tête avant de m'attacher essentiellement à son père. Je pris donc le carton caché sous la table et le disposais sur le bureau. « Voilà pour vous. Ça occupera vos soirées pendant que ce petit monstre dormira paisiblement dans son lit. » Je lui lançais un clin d’œil. J'étais maintenant calmé. La colère du moment s'était dissipé et le fait que ce jeune homme veuille payer les pots cassés me rassurait. Je ne lui en demandais pas temps et les derniers mois avaient été plutôt avantageux. Donc ce lustre et ces verres n'avaient pas d'importance. « Et laisser, c'est pour moi. Ça arrive plus souvent que vous ne pourriez l'imaginer. Mais j'espère que vous trouverez votre bonheur sinon je pourrais changer d'avis. » Je lui souris un instant avant de reprendre un soupçon de sérieux. « Bref, après ce petit imprévu, que puis-je faire pour vous ? »

 « Voilà pour vous. Ça occupera vos soirées pendant que ce petit monstre dormira paisiblement dans son lit. »  Il était... mignon. A sa façon il semblait trouver son compte de cette situation désavantageuse. Ses yeux. Je devais le lâcher du regard, je n'étais pas là pour draguer, surtout pas devant Tristan qui était maintenant tellement absorbé dans son livre qu'il ne remarquait pas le clin d’œil du gérant. « Vous n'avez pas d'enfant avouez ? Sinon vous sauriez que ces bestioles ne dorment jamais paisiblement. C'est au moment où vous vous laissez aller sur le canapé que vous attrapez la télécommande qu'ils débarquent en pleurant et en ayant mal au ventre. » « Et laisser, c'est pour moi. Ça arrive plus souvent que vous ne pourriez l'imaginer. Mais j'espère que vous trouverez votre bonheur sinon je pourrais changer d'avis. » Je n'avais aucun doute sur ma capacité à trouver mon bonheur ici, même si mon esprit laissait sous-entendre que ce bonheur pourrait se régler dans les bras du vendeur dans son arrière-boutique pendant que Tristan serait à l'école demain. Je devais chasser ces pensées idiotes de ma tête et me recentrer sur le plus important : mon shopping mobilier.  « Bref, après ce petit imprévu, que puis-je faire pour vous ? » Lui au moins il ne perdait pas le nord. Voilà qui était tout à fait éclairant sur les intentions qu'il nourrissait en fait, être gentil, souriant, aimable et amusant, tolérant envers Tristan pour mieux conclure une grosse affaire. Un vrai commercial dans toute sa splendeur.

Non mais à quoi tu t'attendais Vassili ? Evidemment qu'il était là pour faire du chiffre, c'était son affaire. « pour moi ? Oh oui, pardon. Je voulais voir le lot de quatre chaises style empire que vous avez là-bas. Et savoir si vous en auriez deux de plus. » Qu'est ce qui me prenait ? Perdre mes moyens devant un mec ce n'était pas vraiment dans mes habitudes, après tout je donnais parfois cours à plus de cent personnes réunies dans un amphithéâtre. Mon fils tournait les pages en marmonnant l'histoire. Une histoire qu'il connaissait par cœur pour l'avoir entendue des dizaines de fois. Je me devais de reprendre une consistance ou du moins de faire semblant de retrouver une attitude dégagée. « C'est vous l'expert, montrez-moi un objet que vous pensez capable de résister au temps et à mon ouragan de fils ? » J'avais dit ça en m'éloignant vers une autre allée du magasin, histoire de parler plus tranquillement qu'en gardant Tristan à l’œil en permanence. « Et par pitié par un truc qu'une femme pourrait choisir, je n'en ai pas dans ma vie je n'ai pas envie que mon appartement rappelle à mon fils qu'il n'a pas de mère. » Pourquoi avais-je dit ça ? Qu'est-ce qu'il me prenait ? C'était un mensonge ! Tristan n'avait pas de mère, certes, mais il le vivait très bien, il ne l'avait jamais connue et n'en avait jamais manifesté l'envie. Ce mec me faisait un effet bien trop perturbant. Je savais bien que c'était trop beau pour être vrai quand j'ai trouvé ce que je cherchais en trois clic sur internet...