C’est bizarre de se promener dans ces rues… toute mon enfance. Elles n’ont pas changé, à l’exception de quelques nouvelles boutiques qui n’existaient pas à l’époque. En revanche, le bonhomme qui y marche, c'est-à-dire moi, à bien changé. Méconnaissable. Plus vieux, plus grand, plus… tout. Et en même temps pas assez pour certain. J’en viens à regretter le temps ou j’étais gamin, les choses étaient plus simples. Et si j’avais eu des soucis étant gamin jamais l’idée ne me serait venu de me plonger dans l’alcool ou la drogue, non j’aurais probablement réglé ça en faisant un dessin moche et sombre ou bien en boudant dans mon coin. J’aurais pas fait cette connerie… Je peux pas m’empêcher de penser que la drogue et l’alcool sont à la fois les pires et les meilleures choses qu’ils me soient arrivés. Elles m’ont fait énormément de bien quant je me sentais mal. Mais maintenant, alors que je voudrais passer à autre chose, c’est elles qui me font du mal, et je n’arrive pas à trouver le remède miracle. Désintox, thérapie… Facile à dire, étonnement difficile à faire.

« On va pas se faire la gueule éternellement. Si ? » Gabriel. Mon meilleur ami. L’unique. Le seul à vrai dire. Enfin je crois… Il est mon meilleur ami, mais c’est trop compliqué pour que j’en sois sur. Tout est trop compliqué. Je ne sais pas quoi répondre. J’ai besoin de lui à mes côtés, je le sais, mais en même temps, j’ai bien envie de l’envoyer balader. J’ai envie d’envoyer balader tout le monde à vrai dire. « Léo, sérieusement, on va pas rayer une amitié de 30ans à cause d'une dispute ? » Une amitié de 30 ans. J’étais haut comme trois pommes quant j’ai rencontré Gabriel. Le premier copain que je me suis fait en allant à l’école maternel. On a tout fait ensembles… Et malgré le temps, malgré la distance, on est toujours resté en contact. J’ai juste omis de lui préciser que tout n’était pas si rose que ça de mon côté. A vrai dire j’étais déjà suffisamment mal, pour en plus devoir avouer ça à mon meilleur ami. Je ne voulais pas d’aide et pour moi, il était hors de question de demander de l’aide à Gabriel, j’aurais eu l’impression d’être un fardeau. Et puis, ça ne s’explique… Je vais dire au début… Je ne m’en rendais pas comte. Je ne réalisais pas que je devenais accro. J’ai même mis du temps à mettre un nom sur ça : l’alcoolisme, la dépendance. Au début, je pensais juste que s’était normal de noyer son chagrin dans l’alcool, normal d’essayer d’oublier en se droguant. Normal de faire tout et n’importe quoi. Normal. Mais la normalité dont je croyais faire preuve est devenue plus forte que moi, je m’en suis rendu compte trop tard. « Une dispute débile en plus de ça. » Il a raison. Une dispute débile, toujours débile. J’ai perdu trop de chose. Lui aussi. J’ai pas envie de le perdre. J’ai pas envie de ne plus lui parler… Je ne pourrais pas le supporter. Je crois que ça serait comme me pousser un peu plus au fond du trou. Mais je m’excuserais pas. Je peux pas. J’hoche la tête. « Peut-être que… » Je cherche mes mots, calant mes mains devenues tremblantes à cause de la drogue et l’alcool au fond de mes poches. « Peut-être qu’on pourrait faire comme si rien ne s’était passé ? » Fermer les yeux sur tout ça. Redevenir les meilleurs amis du monde. Parce que plus que tout j’ai besoin de mon meilleur ami.

« Je n'ai pas l'intention d'ignorer ce que j'ai découvert Léo. » J’aimerai bien pourtant, j’aimerai que ça soit aussi facile que ça. J’aimerai pouvoir lui faire oublier ce qu’il sait, mieux j’aimerai que tout ça n’ait jamais eu lieu. J’aimerai… J’aimerai… Je ne sais pas. Je demande à quel moment j’ai véritable fait le con ? Quelle a était ma plus grosse erreur ? Partir d’ici pour l’Europe ? Devenir joueur de football ? Basculer dans l’alcool et la drogue ? Dépenser tout mon argent ? Mentir ? Je n’arrive pas à me décider. Il y a du bon, comme du mauvais comme du mauvais dans chacune de ces choses. Si je n’étais pas parti, je serais probablement pas venu joueur professionnel, j’aurais pas découvert que j’ai ce problème au cœur, j’aurais pas disjoncté comme ça et je serais probablement heureux, peut-être encore en couple… Surement en couple. Oui. Si j’étais resté je n’aurais pas abandonné May-Rose. Mais en même temps, si j’étais resté, je n’aurais pas connu la célébrité, je n’aurais pas connu cette sensation d’entrer sur la pelouse d’un stade plein à craquer, je n’aurais pas eu le droit à des ovations, à des tonnes de fans qui hurlent mon nom parce que je viens de marquer… Il y a du pour. Il du contre. « Les problèmes ne disparaissent pas parce qu'on décide de les occulter tu sais ? » Malheureusement je le sais, sinon à l’heure qu’il est je serais probablement pas ici, entrain de faire de mon mieux pour camoufler mes mains qui tremble et en me demandant combien de temps je vais tenir avant de céder une nouvelle fois à l’appelle de l’alcool. Si les problèmes disparaissaient selon nos désirs, à l’heure qu’il est, je serais sur la pelouse d’un terrain de foot entrain de marquer un but. Si s’était aussi simple, on ne serait pas fâché, on aurait pas risqué de ruiner une amitié de trente ans. Si s’était aussi facile, tout le monde serait heureux et on vivrait dans le meilleur des mondes. Mais c’est pas le cas. C’est même très loin de l’être. « Tu sais que j't'aime mec. » Je le sais. Je l’ai toujours su, j’en ai même jamais douté. Mais ses paroles me vont droit au cœur, et j’ai comme l’impression que je pourrais craquer, là, maintenant, tout de suite. Je pourrais chialer comme une gonzesse, m’effondrer au sol. J’en meurs d’envie. Je lutte même pour ne pas que ça m’arrive. Je baisse la tête, laissant ses paroles résonner dans ma tête. Et finalement, mon regard croise le sien. Trente ans qu’on se connait, et je me rends compte que je n’aurais pas du lui cacher tout ça. Il aurait même du être le premier au courant. J’aurais du mettre ma fierté de côté et j’aurais du lui raconter et lui demander de l’aide. Trente ans qu’on se connait, qu’on s’apprécie, qu’on se soutient. Trente ans et il est toujours là. C’est le seul. Je m’avance vers lui et presque maladroitement mes bras l’étreignent. « J’aurais du te parler, je suis désolé. » Je me détache de lui. C’est rare que je fasse preuve d’autant d’affection, et surtout que je me confesse de la sorte. Surtout en ce moment. C’est juste que j’ai été trop, je suis trop bête, j’aurais pas du lui cacher tout ça. Je me sens incroyablement mal, c’est un tout, un manque de football, de bonheur, de drogue, d’amour, d’alcool. « J’ai besoin de toi. » je marmonne. Tellement bas, que je me demande si je n’ai pas fait que le penser. Je suis partageais entre l’envie qu’il m’ait entendu, ou au contraire qu’il n’est rien capté. Mais s’il a entendu, j’espère qu’il a compris, parce que je ne le répéterais pas. J’ai pas la force… Pas l'envie. Et je me sens déjà suffisamment faible comme ça.

Ce qu’on est entrain de vivre, cette scène… C’est exactement ce genre de chose que je déteste dans les films. Totalement niais et dénué de sens. Comme si de bonhommes allaient papoter de la sorte et être aussi ému. Et pourtant. Je me rends compte que finalement, il n’y a rien de plus vrai. Rien de plus vrai que la sincérité qui nous lie à cet instant précis. On a peut-être l’air stupide, débile, j’en sais rien… Mais là, à cet instant précis, j’en ai strictement rien à voir de ce que peuvent imaginer les gens qui marchent sur le trottoir à côté de nous. J’ignore même s’ils font attention à notre présence je m’en fou. Je me souviens vaguement du jour à la célébrité à frappé à ma porte et je devais me contrôler, veiller à ne pas m’agréer en public, faire attention à chaque mot employé... Je me souviens qu’à chaque fois que je me baladais en public avec une femme, on lui attribué automatiquement le statut de petite amie. Une fois, je me suis promené dans les rues de Munich avec un autre joueur et d’après les médias ont a tous les deux virés gays.. Et je me souviens quant tout a dérapé et que j’ai fais la une d’un magasine people allemand, avec en photo de couverture, une photo de moi le tee-shirt taché de vomis et la tête incroyablement défoncée. Et dans l’article, à l’intérieur, il était question d’un résumé des récents événements de ma vie, ou les médias se demandait si ma décente aux enfers était liée a ma maladie qui m’avait forcé à stopper toute forme de sport ou si il s’agissait d’une rupture avec une prétendu Lara, dont je n’ai m’aime jamais entendu parler. Je me souviens. Et je me dis que si à l’heure actuelle j’avais été encore au sommet de ma gloire et que les médias m’auraient sans doute sauté dessus pour savoir qui est Gabriel et quelle lien nous unis. Et comme je n’aurais pas répondu, on aurait fait la couverture, le lendemain avec une rumeur de fiançailles, ou un truc du genre.
J’aimais bien les fans et les médias. Au début. Quant ils se sont mis inventer tout et n’importe quoi, c’est devenu terriblement lassant. Quant je ne pouvais plus sortir faire les courses sans me faire harceler par une fan de foot en chaleur, c’est devenue flattant mais chiant… Je crois que finalement, le côté positif de toute cette histoire, c’est que ma décente aux enfers, et le fait que je sois devenu un fantôme, un inconnu, m’évite de devoir affronter tout ça.

Il m’arrache un sourire alors que sa main vient à la rencontre de mon épaule. Et je me sens mieux, je me sens plus léger. L’espace d’un instant, j’ai l’impression d’être le Leo d’il y a 15 ans. Un Leo clean, fan de sport, ambitieux, heureux et amoureux… Mais je me rends bien vite à l’évidence, que tout ça c’est du passé, ça date. Et ça ne sera plus jamais pareil… Mais je crois que… Je crois que si je m’en donne les moyens, je crois que si j’y arrive, si on y arrive, je pourrais peut-être devenir un jour, un Leo semblable à celui-là. Je crois. « Laisse-moi t'aider » Je me suis refusé toute aide jusqu’à présent, je voulais mêler personne à tout ça. Je me disais que s’était mon problème, que je me suis fourré là-dedans tout et seul et que je dois être capable de m’en sortir tout seul et auquel cas je n’y arrive pas, j’y resterais… tout seul. Mais ça fait tellement du bien d’entendre cette phrase. Je passe ma main sur mon front, dans mes cheveux en bataille et hoche la tête. En vrai, je ne veux que ça, j’avais juste trop de fierté jusqu’à aujourd’hui pour le demandais. Et trop peur que la personne qui aura le courage de prononcer cette phrase soit elle aussi rongée par tout ça. « Je… » Je tends mes mains à plat devant moi. Alors que je me concentre pour qu’elles restent immobiles, les tremblements se font immédiatement ressentir. « Je tremble tout le temps. » finis-je par dire. Et ce n’est rien comparé au reste. J’ai des sueurs trop souvent, avec l’impression que je ne vais pas tenir le coup, que mes jambes vont se dérober son le poids de mon corps. « Je dors pas de la nuit. » Je dors trop peu et je passe mes nuits à ressasser les mêmes choses, les mêmes pensées, à m’imaginer des choses comme la vie parfaite, à angoisser sur l’avenir… J’ai des crampes. Parfois envie de vomir. « J’ai honte de ce que je suis devenu. » C’est bien simple je suis devenu incapable de me regarder dans un miroir. Incapable d’affronter ma propre gueule, mon propre regard. Je baisse les yeux. Je ne suis pas entrain de me plaindre je ne me plains jamais auprès de quiconque sauf de moi-même. Non je veux seulement qu’il sache, je veux lui exposer les faits… Je veux lui dire ce que j’aurais du lui dire dès le début. « Je m’étais inscrit à une thérapie… » Je suis toujours inscrit à vrai dire. J’ai signé les papiers des mon arrivée à San Diego, avec une réelle motivation de m’en sortir. J’y suis allé deux fois depuis et j’y ai plus jamais remis les pieds. Je crois que ce qui m’a foutu un coup en arrivant ici, c’est d’être en froid avec Gabriel et surtout… De découvrir que pendant tout ce temps, ma petite sœur a bien grandit et qu’elle est comme moi. Quant je l’ai vu… J’y ai pas cru. Quant je l’ai vu, s’était un peu comme me voir comme dans un miroir, ce que j’évite à tout prix. Quant j’ai vu que ma petite sœur était aussi droguée que moi… Ça m’a d’abord reboosté, dans l’espoir qu’on puisse se sortir tout les deux et puis… Je me suis dis que je n’avais même pas les armes pour me battre tout seul, alors pour deux..

J’ai du mal à me faire à l’idée que c’est avec Gabriel que je suis entrain de parler de tout ça. Pourtant c’est évident, depuis le début ça aurait du être avec lui. Et j’en viens même à penser que si je n’avais pas fait l’effort de cacher tout ça, peut-être qu’on n’aurait pas cette discussion aujourd’hui. Peut-être que ce problème ne serait qu’un lointain souvenir, réglait d’une façon ou d’une autre. J’hoche la tête alors que mon meilleur ami fronce les sourcils, ouais j’étais. « J’étais motivé… Et j’ai pas réussi à tenir. Je pensais qu’en revenant ici tout aller changer, que j’allais être bien, mais il s’est passé tellement de chose. Tu savais que ma sœur était aussi… ? Enfin, comme moi. » J’arrive à le penser, je peux le dire clairement dans ma tête : je suis alcoolique et drogué. Mais en vrai, les mots ne sortent pas. Je pourrais trouver toute autre expression pour qualifier la chose, mais je suis incapable de le dire clairement. Et le truc c’est qu’en revenant ici j’étais aussi motivé à revoir May-Rose, et j’ai toujours pas eu le courage de le faire par peur de ce qui m’attends. Et je n’ose pas en parler aux autres. Je n’ose pas demander des nouvelles, parce que tout le monde pense que c’est de l’histoire ancienne. Parce que c’est de l’histoire ancienne… Enfin, je croyais que ça l’étais. Mais depuis May-Rose, donc depuis quinze j’ai été incapable d’entretenir une liaison longue durée. Elle est la seule, l’unique. Et toutes celles qui sont passées par mon lit ne comptent pas. Elles n’étaient que des jouets, des passe-temps. C’est pour ça que je ne les gardais que pour une nuit, dans l’espoir de retrouver un jour May. « Tu veux venir à la maison quelques jours ? Ou je peux t'accompagner à des réunions genre AA. » J’agite la tête en signe de négation. En arrivant ici, je me suis tout simplement refusé d’habiter avec quelqu’un que je connaissais. Alors que ça aurait été plus simple, évident même. Non j’avais juste pas envie, d’être hébergé par pitié. J’avais envie de reprendre un nouveau dépars. « J’habite avec une fille… » Je lui dis, tout en pensant à Hécate, ses cheveux multicolores et sa joie de vivre permanente. « Un peu trop joyeuse à mon goût mais… Elle est bien. » A vrai dire, c’est un véritable défi que de vivre avec Hécate, et quant j’allais encore à mes thérapies, la femme qui s’occupait de moi, m’a dit qu’Hécate était la meilleure chose qui puisse m’arriver, et que a sa joie de vivre ne pourrait me faire que du bien. « Et pour les AA… Je… » Quoi ? Je ne sais pas quoi répondre. Je sais que je devrais y aller, et qu’avec lui ça serait encore mieux. J’ai besoin de soutien, mais ça me fait peur. J’ai peur de ce que je vis actuellement, mais j’ai aussi peur de ce que je pourrais vivre, de ce qui m’attend. « Je… Je crois que ça me ferais plaisir que tu m’accompagne » finis-je par dire. J’essaye de m’imaginer comment peuvent se dérouler ces trucs. Comme dans les films ? Ou bien est-ce que ça n’a rien à voir ? Il m’arrache un sourire en me proposant la cellule de dégrisement. Et pour la première fois, ça me fait énormément de bien de plaisanter sur ça. Se confier à son meilleur ami qui en plus est flic au sujet de ses addictions c’est pas forcément évident… Et j’en viens à penser d’un seul coup que je ne dois peut-être pas être le premier bonhomme de ce genre auquel il a affaire, à la différence que cette fois il me connait personnellement. « Je ne tiens pas spécialement à être enfermé, mais si tu me promets que ça marche et que je ressortirais métamorphosé je veux bien essayer ! » répondis-je un faible sourire aux lèvres.