j’avance, les mains dans les poches, la cigarette au bord des lèvres, avec pour seul but de pouvoir prendre un bon bol d’air frais. ouais, de l’air frais, c’est bien tout ce dont j’ai besoin après l’autre nuit à l’hôpital, après avoir retrouvé louve face à moi alors qu’elle avait complètement disparu de nos vies pendant trois interminablement longues années. c’est tout ce dont j’ai besoin, de l’air frais, une clope, et un café, aussi. je pousse mes lunettes au fond de l’arrête de mon nez et avance jusqu’à un café, tout proche. c’est en apercevant la terrasse que je me rappelle ; le café où j’ai rencontré victor. victor et son visage de bébé. victor et ses dents du bonheur. victor et sa solitude. victor et ses yeux. victor sans sa vue. victor, le beau victor. victor, victor, victor. j’ai l’impression de n’avoir que son prénom à la bouche maintenant que j’ai franchi la porte du café. et j’en souris. j’en souris, de ce gosse. un peu trop sur le qui-vive, un peu trop sur la défensive. perdu, sans doute. et moi, j’aimerais juste l’aider, l’aider à se retrouver, l’aider à se sentir mieux. l’aider, d’une façon ou d’une autre. mais j’nous imagine déjà en train de nous chamailler comme des enfants parce que lui, il n’en veut pas, d’mon aide. et qu’on semble bien être aussi têtus l’un que l’autre. un soupire d’aise s’échappe de mes lèvres et mon sourire s’étend encore plus quand, alors que je cherche une table libre, je l’aperçois, seul. quand on parle du loup, il ne se trouve jamais bien loin. aucune hésitation à avoir, j’atteins sa hauteur en aussi peu de temps qu’il le faut pour dire ‘ouf’. victor. mon sourire transparaît dans ma voix, j’attrape sa main, doucement. c’est scar. j’ai appris, à force du peu de temps, à toujours lui dire que c’est moi. je me doute pourtant qu’il commence à le savoir, mais j’essaye tant bien que mal de me mettre à sa place –plus mal que bien, d’ailleurs. j’imagine combien ça doit être frustrant de ne pas pouvoir voir qui s’adresse à soi. j’peux m’asseoir ? je me serais bien assis sans attendre sa permission, mais sait-on jamais, peut-être attend-il quelqu’un. j’ose espérer que non.

T’aimes bien ce café. Peut être parce que son odeur est familière. Il est en bas de chez toi, et t’y as passé pas mal de temps. A faire tes devoirs pour éviter ta mère. Ou à trainer là avec des amis. C’est des trucs un peu cons. Qui veulent pas forcément dire grand chose. N’empêche que tu t’y sens bien. Le gros Earl te salut toujours par ton prénom quand tu passes la porte. Et il t’amène le chocolat chaud que t’as toujours pris. Le même. Encore et encore. C’est agréable. C’est tout.
Et puis, personne n’a vraiment changé son comportement depuis l’hôpital. Ils sont eux. Juste eux. Et ça. Ca. Putain, t’aimes ça.

Alors t’es là, assis à la table du fond. A dessiner des formes avec ton doigt sur le bois. T’aimerais bien dessiner vraiment, mais tu sais très bien que ça ressemblerait à rien. Alors tu le fais pas. Parce que t’aimes pas échouer. Et c’est encore pire depuis que t’es aveugle. Parce que t’as l’impression d’être devenu bon à rien.

« victor » Tu sursautes comme un con. Perdu dans tes pensées, tu ne l’as pas entendu venir. Il vient déposer sa main sur la tienne avant d’ajouter rapidement. « c’est scar ». Sa voix est familière, mais tu peines encore à mettre un nom sur chaque voix. Pourtant, tu ne peux pas t’empêcher de grogner un peu avant de retirer ta main. Comme un p’tit chieur. « J’suis aveugle, pas sourd tu sais » Tu lèves les yeux vers lui. Approximativement, comme toujours.
« j’peux m’asseoir ? » T’hausses les épaules nonchalamment. Et tu l’entends se mettre face à toi. Tu passes doucement la main dans tes cheveux, pas forcément très à l’aise. Ce garçon, tu l’as jamais vu. Et c’est frustrant. T’aurais aimé voir son visage. « Tu veux un truc à boire ? »  Tu tripotes ta tasse. T’aimes pas ça qu’on vienne te parler comme ça. T’as l’impression qu’on vient que parce que t’es aveugle.

« Et je précise, c’est pas un rendez vous hein » Tu fais une petite moue avant de boire ton chocolat. D’un coté, t’aimes bien ça. Qu’il te drague un peu. C’est agréable. Pourtant, tu ressens une peur étrange au fond de ton cœur. Une peur qu’on te prenne en pitié. Une peur de décevoir. Une peur de plein de chose. Alors tu refuses de te laisser aller.

face à lui, je me rappelle ce qui m’a fait aller vers lui la toute première fois ; son air enfantin. peut-être parce qu’après tout, c’est un enfant encore. un enfant pas beaucoup moins âgé que moi, un enfant quand même. j’aurais peut-être dû rester dans l’ombre un peu plus longtemps avant de venir le voir, rien que pour pouvoir l’observer un peu plus longtemps à ma guise. trop tard maintenant, je me suis annoncé, il a même sursauté. et je m’en veux d’être arrivé si silencieusement. si au moins j’avais été bruyant, je ne l’aurais pas surpris. et j’ai l’impression que je fais tout de travers avec lui, alors que j’essaye de faire le plus attention possible. je ne sais définitivement pas comment m’y prendre, ça non. il grogne, enlève sa main, je me vexe. j’suis aveugle, pas sourd tu sais. ok, ça, c’était petit. très petit. ça veut dire que j’ai encore fait un pas de travers alors que c’était loin d’être ce que je voulais, et maintenant j’m’en veux encore plus. j’passe mon temps à m’en vouloir, il passe son temps à râler. v’là la belle équipe. j’demande quand même, malgré tout, si je peux m’asseoir avec lui, et pour toute réponse j’obtiens un haussement d’épaules. c’est ce qui s’appelle avoir l’air enjoué, ça. mais je m’assieds quand même. je vais lui faire changer d’avis, il va être vraiment, vraiment heureux de m’avoir à ses côtés aujourd’hui, c’est sûr. tu veux un truc à boire ? je regarde autour de moi. c’est vrai que j’étais venu pour un café, à la base. mais, vraiment à la base. et, on n’a plus besoin de café, quand on a de la compagnie. euh, ouais, j’commanderais un truc. genre, après. après notre conversation. bien après, quand on se sera dit tout ce qu’on aura eu à se dire, en dernier lieu. c’est pas important ce café, tellement, tellement pas important, à côté de toi. et je précise, c’est pas un rendez vous hein. je ris. je ris ouvertement, joyeusement. il a une tête de bébé actuellement, encore plus que d’habitude, et, t’es mignon. ouais, très mignon. mignon dans l’genre, j’ai envie d’pincer tes joues et secouer ta tête de gauche à droite en disant « ohhhhh le bébééééééé » avec une voix d’idiot. si c’était un rendez-vous, je t’aurais invité, et j’aurais pas débarqué à l’improviste. et puis ça aurait été ailleurs qu’ici, sans doute. mais qu’importe, pas besoin d’un rendez-vous pour le faire craquer. j’veux juste y arriver une seule fois ; réussir à le faire craquer, qu’il se laisse aller rien qu’un peu quand je lui fais des avances, qu’il arrête de retirer sa main brusquement, chaque fois. rien qu’une fois. qu’est-ce que tu fais ici, tout seul ? c’est jamais très drôle d’être seul dans un café. encore moins quand on n’peut pas se mettre à la terrasse pour observer le monde. sa vie doit être dure, si dure.

Tu t’sens un peu idiot. Et plus vraiment à ta place. T’hausses doucement les épaules à la réponse de Scar. Il commandera un truc. Plus tard surement. Après tout, c’est pas vraiment ton problème.

« t’es mignon. »  Cette remarque, elle te fait rougir malgré toi. Mignon. T’as l’air mignon. Tu pourrais avoir l’impression qu’il se moque. Pourtant, tu entends dans sa voix que ce n’est pas son intention. Peut-être te trouve t-il vraiment mignon après tout. Mais ça te trouble ça. Parce que t’as l’impression d’être plus rien depuis que tu vois plus. D’avoir rien pour toi. Alors tu ronchonnes un peu. T’as l’air d’un gamin quand tu fais ça. « … jsuis pas mignon… »

« si c’était un rendez-vous, je t’aurais invité, et j’aurais pas débarqué à l’improviste. »  Tu t’mords la lèvre. C’est pas faux. Tu laisses échapper un petit sourire avant de lâcher « On sait jamais hein… » . Il est discret ton petit sourire. Mais il est là. Bien présent.

« qu’est-ce que tu fais ici, tout seul ? »  Tu laisses un petit silence après sa question. Et tu perds ce quelconque vestige de sourire. De nouveau, t’entends la pitié dans la voix de ton interlocuteur. Tu sais qu’il ne fait pas exprès. Personne ne fait exprès. Mais tu détestes ça. Te sentir si inferieur. Alors t’essaie de montrer ton chocolat en lâchant « bah tu vois j’prends un ch… » Sauf que tu te rates. Ta main va trop bas. Pile dans la tasse. Tu voulais juste la montrer avec ta main. Pour appuyer la débilité de sa question. Un petit cri de surprise s’échappe tandis que le chocolat se répand sur la table et sur toi. « Ptain !! »  Heureusement, le liquide n’est plus brulant. Mais il reste chaud. Alors tu recules brusquement. « Merde ! »  Tu sers le poing, agacé par ton putain d’handicap.

mignon. mignon. c’est bien un terme qui lui va à ravir, ça. mignon avec sa tête d’enfant, ses joues et ses cheveux un peu ondulés qui lui tombent sur le visage, parfois. mignon avec son comportement de bébé, bien souvent, à râler pour un oui, ou pour un non. mignon serait le terme exact si on devait définir victor en un seul mot. mignon. … jsuis pas mignon… je ris doucement, encore. et t’es un râleur avec ça. je lance, taquin. un véritable enfant, et je dois bien avouer que ça m’amuse, vraiment. ça le rend complètement adorable et c’est bien plus craquant que tout au monde, l’entendre râler pour un oui, pour un non, juste pour me contredire, juste pour le plaisir de râler. il me lance sur le sujet du rendez-vous, et, en toute franchise, j’ose prendre ça pour une demande, alors je note cette option dans un coin de ma tête, et peut-être penser à l’inviter, une prochaine fois, qui sera sans doute bien plus intéressant qu’une rencontre fortuite. on sait jamais hein… et c’est là, que, victoire ! serait-ce un sourire que j’aperçois sur ses lèvres, après qu’il se soit mordu la lèvre ? c’est que, j’ai l’œil. HA-HA ! j’ai réussi à t’faire sourire ! oui, tant d’enthousiasme pour si peu. oui, ça me rend heureux à ce point. faire sourire victor le ronchon, voilà une des plus belles victoires au monde. un exploit, même. alors forcément, moi aussi, ça m’fait sourire. et puis son sourire retombe quand je lui demande ce qu’il fait là, alors je crois que c’était quelque chose qu’il ne fallait pas dire. bah tu vois j’prends un ch… je l’observe faire, et grimace quand il trempe sa main dans sa tasse, crispé par la douleur qu’il doit ressentir. il renverse une bonne partie de son chocolat et je me lève instantanément pour attraper des serviettes et essuyer la table. ptain !! merde ! j’attrape sa main pour l’essuyer, elle aussi, toujours pleine de chocolat. j’lui dirais bien de se calmer, que c’est pas grave, mais je sais que j’vais me prendre une réflexion, parce que pour lui, oui, c’est grave. et je sens déjà que sa main va m’échapper, parce qu’il va refuser mon aide, mais tant pis, moi, je ne la lâche pas. et puis, tant pis s’il va m’envoyer une pique, j’ai l’habitude. c’est bon, c’est pas grave vic, ça arrive. enfin, je crois. moi, ça m’arrive quand je viens juste de me réveiller, que j’ai les yeux embrumés. une cécité, à sa façon. comme si j’étais capable de comprendre ce qu’il ressent. n’importe quoi. j’vais t’en commander un autre. j’appelle le serveur ou qui qu’il soit d’un signe de tête et lui commande un chocolat chaud et un café.

Ca t’énerve tellement. Toutes ces petites erreurs à la con. Ces bleus sur ton corps parce qu’Axel a bougé quelque chose à la maison sans te prévenir. Ces petites choses apparemment si habituelles, si simples, qui deviennent aujourd’hui un véritable cauchemar.  « c’est bon, c’est pas grave vic, ça arrive. » Ca arrive pas non. Ou du moins, pas tout le temps. Pas comme ça. Tu sens Scar attraper ta main pour l’essuyer. Mais tu la retires brusquement. Presque violemment. « C’est bon » Elle est froide ta voix. Agressive. Mais c’est contre toi que tu t’en veux. Pas contre lui. Et puis, c’est pas juste ça. C’est l’ensemble. C’est tout. Tous ces putains de changements dégueulasses. C’est ce bleu douloureux que tu t’es fait ce matin en te levant. C’est tous les gens que t’as bousculé en voulant simplement aller acheter des céréales à l’épicerie. C’est des conneries. Mais mis bout à bout, c’est affreux.
« j’vais t’en commander un autre. » T’as envie de gueuler. Sur le monde entier. T’en veux à tout le monde. Pour tout et n’importe quoi. Puis surtout, tu t’en veux à toi.
 
Il te faut plusieurs minutes pour te calmer. Pour que tu finisses par t’asseoir de nouveau, la main douloureuse. Le silence s’installe et tu réalises. Tu te rends compte du comportement que tu as encore eu. Détestable. Encore. Alors tu détournes un peu la tête. Parce que t’as honte. Et doucement, tu souffles « … Pardon » Tu soupires. Putain de petit con. « … Je suis désolé … J’voulais pas être méchant comme ça. » Tu te mords la lèvre. Tu te sens tellement con. « … c’était … je suis vraiment désolé. Je… je suis juste fatiguer de faire ce genre de chose à longueur de journée » Tu l’as dis. Tu pensais pas. Parce que tu gardes pour toi la plupart de tes pensées. Pour ne pas accabler les autres. Pour ne pas faire encore plus pitié. Mais t’as pas envie qu’il t’en veuille. Parce que malgré tout, ce garçon a l’air tellement adorable.

Tu lui souris timidement. Tout timidement. Un peu pour t’excuser une nouvelle fois.

j’attrape sa main doucement, sur laquelle il a renversé son chocolat chaud, mais il la retire encore plus brutalement que ce que j’aurais pu imaginer. pourtant, je m’y attendais. je m’y attendais à ce qu’il me repousse. j’en ai bien l’habitude, maintenant. j’ai l’habitude qu’il me rejette, il en a l’art, il est doué. doué à repousser ceux qui veulent l’aider. et, en toute sincérité, je crois que je le comprends. mieux qu’il peut le penser. mieux, parce qu’au même titre qu’il refuse toute aide en ayant perdu sa vue, j’ai refusé toute aide en ayant perdu mes parents. alors, c’est sans doute pour ça que je reste en absence de réaction quand il se recule. c’est pour ça que je ne fais rien d’autre que lui recommander un chocolat chaud, et attendre. attendre en silence. attendre de très longues minutes qu’il daigne enfin se calmer. attendre que tout aille mieux. attendre est ce qu’il y a de mieux à faire, de toute façon. et enfin, enfin il se rassieds, toujours aussi silencieux. … pardon … je suis désolé … j’voulais pas être méchant comme ça. je le vois, je le vois se mordre la lèvre, malgré la tête baissée. je le vois, et j’en souris. je souris, parce que je n’lui en veux pas. bien, bien loin de ça. ça serait égoïste et stupide, de lui en vouloir. lui en vouloir pour si peu. … c’était … je suis vraiment désolé. je… je suis juste fatigué de faire ce genre de chose à longueur de journée. et son sourire, à nouveau. son sourire timide, je craque. je craque comme une petite fille d’école primaire. je craque par son visage enfantin. je souris, moi aussi, et j’aimerais qu’il le voit, mon sourire. qu’il l’entende, qu’il le sente. quelque chose. t’as pas à t’excuser, c’est rien. je répète. oui, je m’y obstine, c’est rien. et j’en suis bien persuadé, ça peut arriver à tout le monde. oui, tout le monde, aveugle ou non. allez, tends-moi ta main, que je te donne ton chocolat. que tu ne te brûles pas à nouveau les doigts en le cherchant, que tu ne le renverses pas à nouveau. on va éviter de te faire rentrer dans une colère noire, qu’est-ce que t’en dis, hein ? dis-moi, victor, ça t’amuse d’enlever ta main chaque fois que je te la prends ? je lui lance, non sur un ton de reproche, mais plutôt amusé. amusé, et j’en ris, doucement. amusé, mais frustré un peu, quand même. mais si ça le fait rire, alors que ça me fasse rire, moi aussi.

T’aimes pas ça. Etre si différent d’avant. Etre toujours aussi énervé. Par tout. Tout le temps. T’aimerais bien sourire comme avant. Ne plus sentir ce poids écrasant sans arrêt. Tu essaies pourtant. Tu tentes de faire abstraction. Mais il y a toujours quelque chose pour te rappeler ce que tu es. Un infirme. Un handicapé. Toujours quelque chose pour te rappeler que tu as perdu tes rêves. Et bien des choses encore. « t’as pas à t’excuser, c’est rien. » Si. Si, t’as besoin de t’excuser. Pour être aussi dégueulasse avec les gens qui tentent de t’aider. Tu sais très bien que c’est idiot de réagir aussi violemment. Pourtant tu le fais. Encore et encore. « Si...»

« allez, tends-moi ta main, que je te donne ton chocolat. » T’es là. A hésiter comme un idiot. T’es encore à te dire que ce serait se montrer faible. Pourtant, finalement, tout doucement, tu lèves la main vers lui. Puis tu la lui tends. Ta main brulée. « dis-moi, victor, ça t’amuse d’enlever ta main chaque fois que je te la prends ? » Sur ses mots, y’a sa main qui vient se poser sur la tienne. Tu rougies un peu. Pour les mots. Pour le contact. Tu as beau être devenu plus tactile avec les autres à cause de tes yeux, il y a cette peur. Cette peur qu’on te drague sans savoir. Sans réaliser à quel point tu es diminué. Alors tu hausses doucement les épaules. « C’est juste que … Je sais pas … ».

Scar mène finalement ta main à ta tasse. Et tu viens alors la mener à ta bouche. Tu laisses quelques secondes s’écouler avec de tourner tes yeux vides vers Scar. Penchant légèrement la tête, tu demandes « … pourquoi est ce que tu … t’es comme ça avec moi ? ». Tu comprends pas bien. C’est comme si le fait que tu puisses lui plaire était inconcevable. Comme si ton absence de vue te faisait perdre tout charme. Toute chance d’attirer un quelconque homme.

j’suis là, victor face à moi. il semble bien perdu, et en colère après lui-même et ses crises de colère. moi, ça m’dérange pas, parce que c’est pas méchant, et qu’après tout, c’est pas d’sa faute. j’le comprends avec ses réactions, je sais bien qu’il y est pour rien, alors j’lui en veux pas moi, t’sais. j’lui demande sa main (ahahaha), pour lui passer sa tasse de chocolat et il hésite un bon moment pour finir par me la tendre, et je l’attrape, avec cette question qui me brûle les lèvres de savoir pourquoi il la retire à chaque fois, alors j’peux pas la garder plus longtemps pour moi, et je lui demande, purement et simplement. c’est juste naturellement que je lui demande, sans arrière pensée ni méchanceté, sans aucun soucis. c’est juste que … je sais pas … et il hausse les épaules. ah. bon. en même temps, s’il ne l’sait pas, je n’peux pas savoir pour lui non plus. mais en même temps.. t’sais, tu peux m’dire aussi si ça te dérange quand je fais ça, ça m’vexera pas, parce que bon, j’peux pas deviner non plus. que j’lance avec un sourire qu’il ne peut malheureusement pas voir. j’lui mets finalement la tasse dans la main et il ne tarde pas à la retirer. il me regarde et, j’avoue que ça me perturbe assez. je vois, je vois qu’il essaye de me regarder, alors qu’il regarde dans le vide. j’arrive finalement à capter par miracle ses pupilles et j’ai envie de lui crier ‘stoooop victor, bouge plus ton regard, on y est là, les yeux dans les yeux. là, tu sens quelque chose, ou pas ?’ tu sais, pour savoir si, même aveugle, il sent le contact qu’on sent quand on fixe quelqu’un dans les yeux. sauf que ça, j’oserais pas. ça serait comme demander à une paraplégique si elle sent la caresse qu’on fait en haut de sa cuisse. stupide, et déplacé. puis, très mal vu, et je n’saurais plus où me cacher. alors finalement, ça finit par m’effrayer un peu, parce que je vois bien que son regard est vide, que ses yeux sont là, sans l’être vraiment. et le pire, je crois, c’est que je sais que ce n’est pas parce qu’il est perdu dans ses pensées, ça non, mais plutôt parce qu’il ne verra plus jamais, peu importe combien ses yeux resteront ouverts. sans doute que c’est ça, qui m’fait peur. alors je n’ose même pas imaginer l’angoisse quotidienne qu’il doit ressentir. … pourquoi est ce que tu … t’es comme ça avec moi ? il me tire brutalement de mes pensées et j’souris. ah, pourquoi. la vie est un mystère, non ? j’hausse les épaules. pourquoi je n’le serais pas ? c’est vrai, ça, pourquoi je n’serais pas comme ça avec lui, après tout ? et puis d’abord, je suis comment ? qu’est-ce qu’il entend par ‘comme ça’ ? mon comportement est normal, c’est mon comportement habituel quand je cherche quelqu’un, quand un quelqu’un me plaît, quand j’veux draguer un quelqu’un. un peu maladroit, un peu indirect, mais c’est comme ça. j’n’y peux rien, moi, on n’m’a jamais fait de cours de drague, c’est pas d’ma faute si ça ne se sent pas bien. sans doute parce que t’es un mec cool. nouveau haussement d’épaules. et puis sûrement aussi parce que tu m’plais. j’rougis un peu, comme un gamin et baisse la tête. ouais, comme un vrai gamin. en même temps, avec victor, j’ai pas tellement d’autre choix que de lui dire ce que je pense clairement, le contact visuel ne risquant pas de marcher avec lui.