T'es paumé. Ça change pas vraiment de d'habitude mais t'es paumé. Y'a quelques jours encore, t'étais reboosté. Plein de bonnes résolutions, t'allais accueillir un petit garçon dans quelques mois et tu voulais être au meilleur de ta forme. Tu sais plus maintenant. T'as mal. Tellement mal que t'en as plus les idées claires. T'es clean mais t'es aussi mal que quand tu te faisais des roadtrips tout seul dans ton salon à la poudre blanche. Tu la vois repartir. Encore et encore. Et quand c'est pas à elle que tu penses, c'est à Victor. Tu t'en veux à mourir. C'est de ta faute quelque part, s'il s'est retrouvé dans ce lit d'hôpital. Il est aveugle et t'as rien fait pour l'en empêcher. T'aurais certainement du. T'es son grand frère. Ou t'étais. Ça non plus, tu sais pas trop. Sûrement que c'est lui qui a raison. T'es rien. Ça te plait bien. Être rien. Ça parait plus facile que d'être un grand frère, un père et un petit-ami déplorable. Le néant. Tu secoues la tête, fumes une autre clope. Tu supportes plus d'être seul, t'as l'impression d'être un lion en cage. T'as besoin de sortir, voir quelqu'un. Tes pensées se dirigent automatiquement vers Axel. C'est ton pote, une des rares personnes à qui tu tiens réellement. Il aura les mots. Ou au moins de quoi rouler un joint pour te faire oublier. Tu demandes pas mieux. Tu marches. T'espères qu'il est chez lui, tu te sentirais un peu con sinon. C'est le risque quand on débarque à l'improviste. Tu tentes quand même. T'as envie de le voir ce mec. Tu sais que quoi qu'il se passe, il te fera jamais de crasse. Tu lui fais entièrement confiance. Même s'il est paumé lui aussi. Comme toi. Pas étonnant que vous soyez si proches. Vous êtes, à bien des égards, tellement semblables. Tu toques, t'espères tellement le voir ouvrir la porte. T'as tellement de trucs à lui raconter. Tu vas rien lui épargner. Tu vas lui dire pour ton frère, tu vas lui dire que t'es désespérément amoureux aussi. Ouais, amoureux. Clyde Wright, totalement amoureux d'une ado. Faut dire que tu fais jamais simple toi. Ça ouvre. « Putain mec, tu peux pas savoir le bien que ça me fait de te voir! » Une accolade, un truc viril, un truc de bonhommes avec un serrage de mains et tout. T'es soulagé. Tu rentres dans l'appart, t'es un habitué si on peut dire. « Qu'est-ce que tu glandais? » C'est pas de la curiosité, c'était seulement pour savoir si tu dérangeais. Allez savoir, y'avait peut-être une fille dans son lit. Peut-être même Alex. Glauque. T'avais pas vraiment hâte de devoir t'expliquer à ce sujet-là d'ailleurs.

Tu n’arrives pas à dormir. Tu n’y arrives plus. Parce que qu’il y a les images de cette nuit là qui viennent hanter tes nuits. Ces images que tu voudrais oublier. Tes dernières. Toutes dernières. Alors tu veux plus dormir. Parce que tu es fatigué de te réveiller en hurlant. De sentir les coups contre ton corps encore et encore et encore. De les sentir dans tes rêves comme si Ulysse te les assénait une nouvelle fois.
Un soupire s’échappe de tes lèvres tandis que tu effleures doucement la peau d’Axel. Tu le regardes. Il semble si apaisé. Si calme. Ca te fait sourire. Un peu.
Il est beau Axel. Tu l’aimes. Pas d’amour. Mais tu l’aimes. Comme un frère. Puis comme un amant aussi parfois. Avec lui, c’est différent. C’est moins bestial. Plus tendre. T’aimes cette attention qu’il te porte. Mais sans te traiter comme un putain d’handicapé. Axel, c’est le grand frère que Clyde a jamais été. Celui qui t’écoute. Vraiment. Qu’est là pour toi quand ça va pas.
 
T’es crevée. T’aimerais pourvoir t’endormir. Juste aussi simplement qu’avant. Ton seul réconfort, c’est que maintenant, t’’es plus tout seul. Axel est là si ça va pas. Parce qu’à la maison, y’avait personne. Une mère trop conne. Un frère trop absent. Et puis Clyde.
 
Le sommeil fini par te happer. Sans que tu ne le veuilles vraiment. Et tu t’entends. Une nuit sans rêve. Parce que t’es trop épuisé pour rêver. Alors t’es juste là. Endormi. Calme. T’as l’air tellement serein, c’est fou. C’est comme si y’avait plus rien. Comme si t’étais plus cassé.
 
Un petit gémissement s’échappe de ta bouche tandis que tu t’étires comme un petit chat. Le lit est vide. Tu t’étales un peu. Tu prends la place. Puis tu restes un instant comme ça. T’es bien là. Un sourire vient orner ton visage. Tu n’as pas fait de cauchemar. Tu ne t’es même pas réveillé.

Il te faut bien cinq bonnes minutes avant que tu ne finisses par sortir du lit. Et tu t’avances vers le salon. Un grognement se fait entendre suivit d’un juron lorsque tu te prends salement le mur en voulant tourner trop tôt. T’entends des voix. Alors tu vas vers elles. Vers la cuisine. « …b’jour » Tu t’frottes les yeux comme un enfant. T’as un peu zappé que t’étais en boxer. Et que cela ne se fait pas vraiment. Mais peu importe. Tu t’étires un peu avant de te planter devant le frigo pour prendre à tâtons la bouteille de jus d’orange.

T'as l'impression d'être entré en terre neutre. Tu te sens mieux. Juste un peu. Mais quand même. Axel t'annonce qu'il était en train de prendre une douche et tu hausses les épaules. Si c'est que ça! Tu le suis dans la cuisine, tu regardes son café couler l'air un peu paumé. Sûrement parce que tu l'es. T'es totalement perdu. Désaxé. Axel, il est un peu comme toi dans le genre. Ou plutôt, tu étais comme lui. Plus maintenant. T'en avais quasiment fini avec la défonce. C'était certainement pas le cas d'Axel. Tu le connais bien. Pourquoi il changerait? C'est pas comme s'il allait devenir père lui aussi. Ca t'aiderait bien tiens. T'aurais un mec avec qui en parler, quelqu'un qui te comprendrait à la perfection. Enfin, bref. C'est pas le cas d'Axel quoi. « Plein de trucs... Alma est genre énorme. On s'est disputé -encore- et euh... Voilà. » Tu pensais vraiment que t'allais vider ton sac mais, au final, rien ne sort comme tu l'avais espéré. « J'ai reparlé à un de mes frères aussi. Enfin, reparlé... Si on peut dire ça. » Tu hausses les épaules. « C'est toujours l'bordel ma vie. Et toi? » Tu regardes ailleurs, t'es pas si à l'aise que ça finalement. T'aurais peut-être mieux fait de rester chez toi. C'est gênant tout ça. Une voix masculine plutôt familière se manifeste. Tu te retournes vivement, assistes au spectacle. T'es sans voix. Tu comprends pas. Enfin, si. Mais pas tout de suite. Axel héberge Victor? Tu secoues la tête, hébété. Tu jettes un regard assassin à Axel. Toi qui pensais lui faire confiance, on dirait que ton pote a simplement omis de te dire qu'il faisait dormir ton petit frère chez lui. Le même petit frère à qui tu ne parles plus depuis des lustres. « Putain Axel, c'est quoi ton problème?! » Sur le coup, t'arrives même pas à t'énerver. Un énième coup dur. T'es abattu. Le pire, c'est que tu sais même pas tout. Tu sais même pas le pire, ce qui va le plus te faire souffrir. Tu t'impatientes quand même, t'as la tête qui menace d'exploser. « Tu vas m'expliquer? » C'est peut-être un peu excessif mais tu te sens trahi.

Y’a sa voix qui résonne dans ta tête. « Putain Axel, c'est quoi ton problème?! » Et tu l’as reconnais trop bien. Sa voix à lui. A Clyde. Tu sais pas pourquoi tu la reconnais si bien d’ailleurs. Tu l’as si peu entendu après tout. Pourtant, elle est là. Ancrée dans ta tête. Tu fronces les sourcils, un peu perdu malgré toi. Tu comprends pas sa présence. Ni sa colère d’ailleurs. Parce que la colère de Clyde, tu la vois pas, mais tu la sens. Tu la sens d’une puissance. Et tu la comprends pas bien. C’est quoi cette réaction ? Pourquoi ? « Tu vas m'expliquer? » T’hausses un peu les sourcils. Expliquer quoi ? Et puis, qu’est ce que ça peut bien lui foutre après tout ? Lui qui semblait si détaché pendant six ans.
 
« Vic dort chez moi depuis quelques jours. Y'a rien d'autre à dire. » Tu lâches un petit rire. Un petit rire nerveux « J’suis là j’vous signale. Puis, qu’est ce que ça peut t’foutre Clyde ? J’dors avec qui j’veux … » Tu te retiens d’ajouter que tu l’emmerdes. Ouais, tu l’emmerdes. Lui et ses questions à la con. Lui et sa putain d’absence. Lui et son réveil soudain sur la vie de son frère. Quelles conneries !
 
« … puis, tu fais quoi ici au juste ? » C’est vrai quoi ? S’il ne savait pas que t’étais là, pourquoi être présent ? Et pourquoi être en colère contre Axel. Lui est là au moins. Et pourtant, lui n’est pas ton frère. Pourtant, il a été là. Tout le temps. Pas simplement en apprenant que tu avais perdu tes yeux. « Tu m’surveilles maintenant ?! »
 

Tu passes la main dans tes cheveux. T’es là comme un con, un peu trop nerveux. T’aimes pas ça. Le savoir ici. Ca t’angoisse. Et tu sais même pas pourquoi. Peut être parce que son regard sur toi compte pour toi. Malgré tout ce que tu peux dire. Malgré ce désir de te détacher totalement de lui. T’as peur de ce qu’il peut penser. De toi. De ce que tu es devenu. Et tu te sens con pour ça. Malgré ce qu’il ne devrait pas avoir autant d’importance après tout ce qu’il a fait. Ou tout ce qu’il n’a pas fait.