Je suis au Starbuck depuis un quart d'heure déjà. Je tapote les doigts sur la table, nerveuse. J'entends les voix de mes frères résonner dans ma tête. Mais t'es folle, tu ne le connais même pas. (ça c'est le second frère.) S'il faut c'est un psychopathe, je t'interdis d'y aller. (ça c'est l'aîné.) Tu vas vivre une aventure, Swen ! (ça c'est le plus jeune.) Je ris toute seule, tortillant la serviette en papier entre mes doigts. J'ai peur. Et si Hippolyte avait raison ? Et si c'était un psychopathe ? Il me reste encore dix minutes avant l'heure du rendez-vous. Je peux encore partir en courant si je veux ! C'est une bonne idée ouais. Je souffle doucement. J'ai voulu arriver en avance pour ne pas passer pour la paumée de service si il était là avant moi. Celle qui entre quelque part et qui se retrouve paumée comme un agneau dans une meute de loups. Je déchire la serviette en deux en décidant de faire un résumé de ce que je sais de lui. Il a vingt trois ans. Il est militaire. Il vient de revenir à San Diego. Il s'appelle Swann. Wow. En y repensant, c'est pas beaucoup tout ça. Ca y est, je vais me faire kidnapper. Et Hippolyte aura eu raison. Aha, jamais. Je me mors l'intérieur de la joue en laissant mon regard dériver sur les clients présents. Je sais aussi qu'il n'aime pas trop parler. Du moins pas de lui. Je crois. J'attrape machinalement mon portable pour regarder l'heure. Plus que deux minutes avant l'heure H. Je pianote sur mon téléphone pour envoyer un texto à Alma. « Je stresse. Si je meurs, tu hérites de mes fringues et du chat. Je t'aime. » Sa réponse ne se fait guère attendre et m'arrache un rire. « J'peux avoir ton appart aussi ? » N'importe quoi. Ce genre de question ça se pose pas. Evidemment qu'elle peut avoir l'appart ! Je pose le portable sur la table et allume mon radar. Un jeune homme entre dans le Starbuck accompagné d'une blonde en plastique. Ce n'est pas lui. Mais on est cons tiens, pourquoi on a pas décidé d'un signe distinctif ? Je souffle, contrariée. Cette fois une jeune homme blond entre. Le visage fermé, les traits durs. Il regarde sa montre puis jette un coup d'oeil autour de lui. Ca doit être lui. Ponctualité militaire oblige. Je me redresse sur mon siège et hésite entre plonger le nez dans mon café caramel ou lui faire un signe. « Swann ? » Deuxième option.

Je suis rentré depuis quelques jours maintenant. Le temps de m'habituer à nouveau au mode de vie américain. Le retour n'était pas une chose facile. La guerre restait sans cesse dans ma tête. Les images me hantaient. On m'avait prévenu avant que je m'engage, on me l'avait dit que ça me changerais, que je ne serais pas le même en revenant, mais je m'en fichais. Je n'avais pas pris cette décision à la légère, j'y avais réfléchi et réfléchi. Pesé le pour et le contre, mais surtout, je l'avais fait. Laissant tout le monde derrière moi et faisant mon bout de chemin, construisant ma vie. Heureusement que je recevais les lettres de Swendylina. Cette fille avait su me redonner l'envie de me battre et de vouloir rentrer. C'était inexplicable, mais ses lettres m'avaient aidé à surmonter les moments difficiles que j'avais vécus là-bas. La guerre m'a laissé des séquelles, des cicatrices qui ne se refermerons probablement jamais. Elle m’avait fait pensé à autre chose, m'avait raconté sa vie et c'est pour cela que j'avais voulu la rencontré.

Le jour-j était arrivé. J'allais rencontrer cette inconnue, qui n'était pourtant pas si inconnue. J'avais l'impression de la connaître par cœur alors que je ne l'avais jamais vue. C'est une sensation étrange et pourtant, c'est ce que je ressentais. A quatorze heures tapantes je la retrouverais au Starbuck du coin. Soit dans un quart d'heure. Je décidais donc de partir pour arriver à l'heure. Je n'étais pas des plus doué dans les relations sociales et je me demandais comment cette histoire allait se dérouler. Si je serais capable de lui décrocher plus de mot, ou même d'être un minimum aimable. Parce que je l'avoue, je ne suis pas la personne la plus sympathique du monde. Ni la plus bavarde. Mais on a tous nos défauts et j'ai appris à vivre avec. Je poussais à présent la porte battante du café en me demandant où elle pouvait être après avoir regardé ma montre. J'avais cette sensation étrange qui me prenait les tripes. C'était bizarre, vraiment. Puis, j'entendis une femme m'appeler. J'arrêtais mon regard sur elle et me dirigea vers celle que j'imaginais être Swendylina. « Bonjour Swendylina. » Au moins, je suis poli. Peut-être pas des plus sympathiques mais je débrouille comme je peux. Je pris place en face d'elle sans autre réaction. A part la regarder légèrement. Enfin je posais un visage sur cette plume. Je croisais les bras attendant qu'elle entame une conversation. Ou qu'elle la fasse, et que j'acquiesce seulement. Fallait qu'elle s'habitue. Mes muscles buccaux ne sont pas très actifs.

Il est à trente mètres. J'ai encore le temps de partir en courant. Si je le bouscule au passage il n'aura peut-être pas le temps de me rattraper. J'évalue mes chances tout en l'observant. Il est grand. Pas beaucoup plus que moi je pense. Dix centimètres tout au plus. Mais je sais que je suis déjà relativement grande. Je croise les jambes sous la table, le coeur battant à la chamade. Il est beau, indéniablement. Une beauté austère, presque froide et sèche. Ses traits semblent tailler à la serpe et la tension palpable de son corps lui donne une certaine souplesse. Il s'installe en face de moi et me salut. Je ne peux plus reculer. « J't'imaginais pas du tout comme ça. » Oops. Je plaque ma main sur ma bouche en ouvrant grand les yeux. Il va falloir essayer de se maîtriser. Je tourne piteusement mon gobelet de café entre mes mains. « Ça veut pas dire que je suis déçue hein, pas du tout, au contraire même. Enfin ça veut pas dire que je veux te sauter dessus non plus 'fin je suis civilisée quoi. Mais c'est pas parce que t'es pas attirant, loin de là, c'est...Euh, je vais me taire. » Je baisse les yeux sur mon gobelet en fronçant les sourcils. Comment tout gâcher en quelques malheureuses phrases. Il faut absolument que j'apprenne à me maîtriser !

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