Ceux qui disaient avoir passé une journée de merde n'avait pas idée à quel point celle que je venais vivre était minable. J'avais réussi à m'endormir en cours et donc était passée dire bonjour au proviseur, on avait renversé un verre de café brûlant sur mon pantalon, je n'avais plus la moindre clope dans mon sac et pour finir en beauté, je n'avais plus assez d'argent pour me payer un taxi afin de rentrer chez moi. Je marchais donc en direction du coin-op game room, ce bar réputé pour ses nombreuses machines de jeux vidéos. J'avais vraiment besoin de me changer les idées en cet instant. Lorsque je franchis les portes du bar, je découvris que toutes les machines étaient déjà prises d'assaut par des gamins de douze piges. Ils n'étaient pas censée être à l'école ou bien fourrés dans les jupons de leur mère ? Je n'y prêtai pas plus attention et me dirigeai vers le bar, m'asseyant ensuite sur une chaise haute. J'eus à peine le temps de demander au barman de me servir quelque chose qu'il me demanda ma carte d'identité, les sourcils froncés. Merde. En ronchonnant discrètement, je la lui tendis. « Reviens l'année prochaine ma petite. » Ma petite ? D'où il m'appelait ma petite cette enflure ? Je me redressai sur ma chaise et tentai de mettre mes atouts en avant. « S'il vous plaît, juste un petit verre. » Il secoua négativement la tête en faisant glisser ma carte d'identité sur le bar. « La loi est la loi, pas d'alcool tant que t'as pas vingt-et-un ans. » Je fourrai ma carte dans mon sac et me levai avant de me diriger vers les jeux d'arcade. J'étais dans une colère noire, si un de ces mômes ne se bougeait pas pour me laisser la place je n'hésiterais pas à le faire dégager par un bon coup de pied dans les fesses.

C'était un peu comme si j'avais ma place attitrée, la meilleure place qu'on réserve au meilleur client, à celui qui a le plus de notoriété. J'avais la chance d'être cette personne. Je prenais toujours un thé ou un chocolat chaud, glacé en été. L'hiver se faisait quand même sentir à San Diego et une boisson chaude était toujours un régal. Je me fixais sur mon écran, à la recherche d'une phrase d'accroche pour mon édito. Je m'y prenais en avance, mais j'étais le roi de la réécriture perpétuelle et le mois de mars serait si vite arrivé. La sortie de chaque numéro était prévue pour le 5 du mois et la maquette finale devait être envoyée le 1e. Je n'avais plus une minute à perdre, mon temps était compté. Malheureusement, il arrive parfois, même au bon journaliste, d'avoir une panne d'inspiration. Pas de grandes nouvelles, pas de coup de gueules à pousser ou de coup de coeurs à partager, j'étais dans le flou. Mes yeux partaient dans le vide quand passa devant moi une silhouette familière. Je faisais la mise au point, retirant mes lunettes de travail (j'étais déjà un vieux). Je clignais des yeux : oui, c'était bien elle, ma petite Charlie qui faisait, encore, sa tête de cochon. Une fois de plus elle avait été recalée au bar et cela avait le don de la rendre grincheuse. Je ne comprenais vraiment pas cet engouement qu'avait la jeunesse pour l'alcool. Je la regardais, marchant d'un pas décidé vers les arcades qui étaient toutes occupées. C'était la sortie des cours et le lieu était comme toujours plein à craquer. Je plaignais en silence les gosses qui allaient subir sa mauvaise humeur. Non, je ne pouvais pas laisser faire ça ! Je criais : « Attention, Charlizilla va détruire la ville ! Tous aux abris ! » J'éclatais de rire.