C'est à se demander s'il a conscience de quoi que ce soit, finalement. Pourquoi afficher une mine déconfite lorsqu'il s'éveille, alangui dans ce paradis duveteux d'où j'ai émergé comme à mon habitude dès les premiers rayons du soleil perçant l'horizon? Il me connait, encore faut-il que je m'en persuade encore après quelques trois années de vie commune. Reste avec moi, Mica. Ce matin, rien que ce matin. Lui jeter un regard désemparé tout en continuant d'enfiler le haut de sport et le short cuissard qui se relaye chaque jour à la tenue d'Ève que je porte au lit. Chaque jour que Dieu fait se débute de façon similaire, non sans m'épargner les jérémiades ponctuelles de Warren et les mêmes réponses que je lui répète encore et encore. Il ne tend toujours pas l'oreille, convaincu que sa bonne foi finira par payer. Du moins, c'est l'impression qu'il me donne, et si je me complais un temps au creux de ses bras, la nuit durant, je me retrouve avec un plaisir non-feint à parcourir une distance relative avant d'enfoncer mes pieds dans le sable, d'ajuster la cadence de ma course en fonction de l'élément avant de terminer ma course à faire des pompes sur une barre horizontale avec laquelle j'ai un rendez-vous quotidien. Du moins, lorsque l'on prend soin de passer les vacances dans les environs, non loin de l'océan où j'évolue librement et avec une aisance totale. Parfois, les bons jours, il m'y retrouve, un sourire éclairant ses traits de façon plus complaisante à quelques occasions, parfois crispé à d'autres. Cette discipline de fer le castre, n'a de cesse de me répéter ma mère, et je ne me résous pas pour le bonheur d'autrui à contraindre le mien. On a seulement quelques jours ensemble, Mica. Après, tu repars pour un moment. Reste avec moi. Est-ce moi qui n'ai pas compris ce qu'était le statut quo d'un couple, suis-je la seule à chercher à faire passer mes intérêts avant celui de l'autre, celui que j'ai promis d'aimer et de chérir jusqu'à la fin de mes jours? J'apprécie ces instants volés, je les chéris et les amène avec moi lorsque je décolle loin des États-Unis, lorsque je me retrouve déployée ici et là selon les intérêts et les dictats des gradés. J'ai vu le Moyen-Orient, j'ai vu l'Afrique, j'ai suffisamment vu pour désormais savoir quand fermer les yeux. Seulement, ces vacances-là sont différentes des précédentes. Cette fois, je ne m'envolerai pas pour ailleurs, ayant plein pied sur cette terre pour un bon moment. Je l'ai fais pour moi, je l'ai fais pour lui, j'ai espéré qu'on s'y retrouverait. J'y ai cru et je suis persuadée qu'à quelque part, j'étais emplie de bonne volonté. Sans doute n'ais-je pas pris la peine de le démontrer suffisamment.

Mica, est-ce que tu m'aimes? M'aimes-tu vraiment? La question se pose-t-elle vraiment? J'ai enfilé une robe vaporeuse d'un blanc ivoire pour te rejoindre devant l'hôtel, découvrant au même moment que j'appréciais ce fiel de féminité qui faisait luire dans ton regard un désir et une fierté que j'aimerais sonder en permanence. J'ai demandé une permission et un sans solde pour être à ton chevet quand tu as perdu ton père et que tu es tombé malade, alité deux semaines durant pris d'un mal contre lequel j'étais prise au dépourvu. Montre-moi, Mica, montre-moi comment tu m'aimes. J'aurais aimé le lui hurler, le prendre par les épaules et le secouer, le ramener à la raison, lui faire comprendre combien c'était exténuant de le conquérir encore et encore sous une pluie de reproches. Je n'y arrivais plus, me convaincre me demandait des efforts considérables et était une perte de temps incommensurable. J'aurais du rester ce matin, histoire de le lui démontrer. Le couvrir d'une myriade de baisers, parcourir de mes paumes sa chair et d'en faire le centre de mon univers. La réalité est toute autre, une réalité qu'il ne parvient pas à intégrer: je suis mon propre épicentre et tout le reste gravite autour, non pas le contraire. Mica? Ruisselante de sueur, adossée contre un palmier, je détourne la tête pour croiser son regard, ses prunelles fuyant pourtant les miennes. Je déglutis. Sans doute avais-je compris avant qu'il n'en vienne aux mots. Mica, j'en peux plus. Il laisse un silence gênant s'installer, m'offrant une occasion de me manifester, de supplier, de chanter mon criant besoin de lui, de le convaincre de rester. Cette perche, je ne parviens pas à la capter, seule prouesse que je me vois dans l'impossibilité d'accomplir. Son regard se veut insistant, suppliant. Je t'aime, mais je m'aime d'autant plus et tu ne t'y feras jamais, finalement. Je me redresse, les jambes me tenant à peine après la course, tremblant sous mon poids alors que je marche dans sa direction, attrape ses paumes immenses dans les miennes et y dépose les lèvres « J'arriverai jamais à te rendre heureux. C'est pourtant ce que tu mérites, Warren ». Il m'a connu avant d'apposer ce jonc autour de mon auriculaire gauche, avant de me demander d'être sa femme et de faire de lui le plus comblé des hommes. Sur certains plans, j'étais cette femme à laquelle il aspirait, mais sur ceux ayant le plus d'importance, d'impact, je ne faisais pas le poids. J'ai beau être combative, j'ai beau avoir horreur de baisser les bras, ça n'aurait que continuer à l'entraîner vers le bas. Il vaut mieux que ça. Des larmes roulent sur mes joues alors qu'un sourire qui se confond avec un trait affuble mes lèvres. Heureuse de l'avoir libéré, malheureuse de l'avoir perdu. Je t'aime Mica. Je t'aime aussi, Warren. Je t'aime, mais pas comme il faut, pas comme il te faut. Je le laisse presser ses lèvres contre les miennes, je le laisse me soulever de terre pour m'adosser contre le mur de la cabane adjacente. Je le laisse se convaincre, accepter et commencer son deuil. Je le lui rends bien, m'offrant une toute dernière fois auprès de mon mari avant qu'il se détache complètement de mon emprise et de ce lien tissé entre nous. Je l'aime assez pour le laisser partir, peu de gens pourraient en dire autant...


Je n'avais pas perdu de ma rigueur, ni même de ma discipline. N'en restait pas moins qu'il fut relativement aisé de reprendre le cours de mon existence, forgeant tout le reste pour demeurer au centre de mes priorités et ainsi accéder à cette sérénité et cette quiétude que je n'avais pas ressentie depuis des lustres. Me perdre volontairement dans cette vie de nature sédentaire qui n'incluait aucun déploiement, aucun adieu déchirant à qui que ce soit et beaucoup moins anxiogène que celle à laquelle j'avais habitude. Entre les cours magistraux, les entraînements, les déplacements pour aller visiter les parents, il ne restait bien qu'une chose pour laquelle je trouvais l'envie et la force de cadrer dans mon quotidien. Une chose, ou plutôt une personne. Si je m'étais promis de choisir le mode de vie nomade dans ce pan de ma vie, il s'imposa d'emblée et sans même forcer les choses. C'est tout naturellement que Matthew apparut pour ne jamais disparaître plus de quelques jours, donnant des nouvelles ou torturant assez mon esprit pour que je prenne l'initiative de le contacter. De le retrouver, de sentir ses paumes empressées de frôler mon épiderme, se contenant péniblement en public alors que son regard hurlait à tout va cette envie bestiale et insatiable que l'on partageait, ressentait inexorablement même quelques minutes après avoir cru l'apaiser. C'était perdre pied, mais d'une façon qui me parut tolérable et incroyablement séduisante. Il me faisait perdre mes repères, me laissait haletante et sans possibilité de me sevrer de sa présence, avide de retrouver ses lèvres sitôt les avoir quittées. Plus qu'enviable, les modalités de cette relation explosèrent dès que je me retrouvai confrontée à la nécessité de répondre de sa charité des suites d'un incendie qui détruisit tout ce que je possédais. Me faisant entrer par le fait même, vitesse grand V, dans l'intimité de Matt. Ce n'était pas prévu au programme, ce n'était pas de ce genre de modalités libertines qu'on possédait normalement. L'être humain s'adapte, dit-on, et j'en aurais bien rigolé si j'en faisais pas les frais dès maintenant. À savoir à ce que cela rime ou bien où ça nous mènera, cependant, c'est une toute autre histoire...