« Comment ça, pourquoi je fais ça ? C'est pas la question. Tu devrais plutôt te demander pourquoi les gens comme toi se préoccupent tant d'avoir des réponses à tout. » Je soupire, puis m'assied sur la chaise avant de renifler. Fichu rhume. Ca m'énerve. « Et puis de toute façon, tu vas faire quoi en rentrant chez toi, hein ? Allumer ta télévision et regarder American Idol ? Ta putain de télévision, pendant que ta femme te fait le diner ? » Un petit rictus ressemblant légèrement à un sourire s'affiche sur mon visage souillé de quelques éclaboussures de sang. Je me passe les doigts dans les cheveux pour les remettre en place, puis tape sur la table devant moi du plat de la main. « J'en n'ai rien à cirer de ta vie dans laquelle tous les jours se suivent et se ressemblent, Jerry. J'en n'ai rien à cirer de ta femme, de ta fille ou même de ton putain de chien. » Le type a l'air effrayé mais à vrai dire, ça fait longtemps que je ne remarque plus cette expression chez les gens. Tout ce que j'ai en tête, c'est mon besoin de déballer un peu mon sac. Je me sens seul depuis des mois, alors un peu de compréhension... il faut que je me confie à quelqu'un, même si c'est pour le tuer juste après. « Tu vois, c'est les gens comme toi qui créent les Clyde. C'est parce qu'on en a raz-le-cul des raclures qui pullulent dans c'te belle Amérique qu'on s'est décidés à faire une action de bénévolat. C'était pas cool de manquer de respect à la serveuse comme tu l'a fais, mec... elle est juste là pour gagner un peu d'argent à la fin du mois, c'est pas une prostituée. » Je dodeline quelque peu de la tête d'un air aussi désapprobateur que blasé, puis me relève et me saisis de la batte posée à côté de moi. Voila, à partir de maintenant, c'en est fini de Jerry. Ou ptetre qu'il ne s'appelle pas Jerry, tiens. Mais il a une gueule à porter ce prénom... une bonne face de rat stupide et gras qui considère sans doute que son espèce est la meilleure sur terre. Malheureusement pour lui, son dieu n'est pas avec là aujourd'hui pour l'empêcher de se faire exploser le crâne.

Sans attendre un quelconque signal, je fais tourner ma matraque une ou deux fois en de jolis cercles, ceci avant d'utiliser l'élan prit par l'arme pour balancer mon premier coup sous la mâchoire de l'homme bailloné qui tomba de la chaise sur laquelle je l'avais assis. « WOUHOU, HEADSHOT !!! YEAH MAN, AMERICA! » Voila, à partir de là, inutile de me parler pour les secondes qui suivent, je n'allais pas être mentalement dispo.

Lorsque le silence revient enfin, je lâche ce que je tenais dans ma main et je vais me débarbouiller aux toilettes en ignorant presque la personne qui s'y était réfugiée lorsque j'ai commencé à tirer dans le tas tout à l'heure. Petit restaurant perdu sur une route quelconque, à part les écureuils, sans doute que personne n'a rien entendu. Oh mais tiens, c'est la serveuse, en fait ! Allez, je lui fais un sourire et je repars.

Non, attendez !
Je pivote sur mes talons à nouveau.

« Dis, je peux avoir un sandwich et une bière ? » Visiblement, c'est quelqu'un de très coopératif, parce qu'elle opine rapidement de la tête et ne fait pas de problèmes lorsque je lui tiens la porte pour la laisser sortir de la pièce (ben ouais, je suis bien élevé, moi). Voila qui est bien. Bon, mis à part ses couinements réguliers, surement à cause des trois gars à terre et du sang, elle fait ce que je lui demande et je la remercie avant de commencer à manger. En tournant la tête, je remarque enfin le jukebox au fond de la salle et un soupir m'échappe. J'aurais bien aimé un peu de musique. « Merci pour ta gentillesse. » Je sors un billet et le pose sur le comptoir avant de sourire à la jeune femme face à moi qui semblait définitivement pétrifiée. Ceci fait, je me lève en manquant de me prendre les pieds dans le corps de l'un des clients à qui je venais de coller une balle dans le front, puis je ressors. Je remonte ensuite dans ma voiture et je reprends la route. Faut que je rentre... j'ai cours, demain.

Je m'appelle Clyde Knoxville. Officiellement, je suis étudiant en psychologie ainsi que mannequin pour la boîte de ma mère, mais j'aime pas particulièrement les autres employés qui m'énervent avec leur obsession des potins. J'aime pas MTV, j'aime pas les émissions de téléréalité et j'aime pas la presse people. J'aime pas non plus le fait qu'on soit fixé sur une console de jeu ou un téléphone quand je parle et j'ai déjà eu envie de poser une bombe dans une salle de fitness, juste parce que les types qui font de la muscu et que les nanas qui y vont pour draguer s’insupportent. Les riches superficiels aussi, ils m'agacent. Et les marques ! Les marques, ça m'énerve, je trouve ça stupide. J'aime pas tellement la société de consommation en général, à vrai dire... mais j'essaye quand même de rester discret au centre-ville, parce que c'est un peu trop risqué de faire des fusillades là-bas en ce moment. J'suis pas un psychopathe, j'en ai juste marre de la mentalité actuelle des gens, ça me rend cinglé. Tiens, ma mère passait plus de temps devant sa TV qu'à s'occuper de moi et maintenant ça a pas tellement changé. Toujours pendue à son téléphone ou a me dire ce que je dois porter pour être à la mode. Elle a essayé de m'acheter avec des jeux vidéos quand j'étais petit mais ça à pas trop marché, même si j'ai un peu abusé de GTA. Quand à mon père, ben je me souviens plus de lui, c'est flou... peut-être que j'ai pas de papa, peut-être que c'est Dieu lui-même qui m'a envoyé sur terre pour rétablir un peu l'équilibre. J'sais pas... mais ce sandwich était vachement bon.