Compass Point

Ce jour-là, au terme d’une courte et frustrante discussion téléphonique avec Aaron, j’ai erré comme dépourvue d’âme dans les rues de la ville. Je ne comprenais pas. Je ne parvenais à saisir comme, soudainement, il pouvait être si peu disponible pour moi. Aussi, je suis inquiète. L’aurais-je vexé ? Ai-je dit ou fait quelque chose qui lui aurait déplu ? À moins qu’il ne cherche simplement à m’éviter, mais pour quelles raisons ? Se pourrait-il qu’il ait rencontré quelqu’un ? Un jeune homme que j’imaginerais volontiers charmant et surtout jaloux de cette complicité naissance entre lui et moi. Quelles désagréables idées. Je ne saurais dire laquelle m’est la plus désagréable : qu’il ait rencontré quelqu’un ou qu’il m’éloigne de sa vie pour ce dernier. Quoi qu’il en soit, contrariée par son comportement et par les digressions de mon esprit possessif, j’ai décidé de ne plus le contacter. Pas un message. Pas même un commentaire sur Facebook ou sur Twitter. Rien. Silence complet.

« On va faire du shopping. Tu viens ? » proposais-je à une amie alors que nous quittions à peine les cours. Toutes les activités étaient les bienvenues lorsqu’il s’agissait de m’empêcher de ressasser mes angoisses. J’organisais donc toutes sortes de sorties pour que le temps me semble moins long. Et puis, soudain, tandis que Maria décidait seulement de se joindre à nous, mon téléphone vibra dans ma poche. C’était lui. Enfin. Celui que je m’étais promis d’invectiver lorsqu’il se manifesterait à nouveau. Il me donnait rendez-vous dans ce bar pour féru de jeux vidéo et, si j’ai joué les indifférentes, si je me suis permis un brin de froideur à cacher derrière mon enthousiasme, j’étais ravie. Ravie de passer la soirée avec lui. Ravie d’être vraiment pour la première fois depuis longtemps. Avec Aaron, je suis authentique. À quoi bon mentir ? Ma première cuite lui révéla sans doute contre ma volonté de nombreux secrets jalousement gardés.Abandonnant mes quelques amies, j’ai rejoint pour appartement pour me doucher, dompter ma crinière dans un chignon négligé, un jean’s et un T-shirt noir affichant fièrement le logo du dernier album de groupe préféré. C’était cool, simple, sans chichi. C’était à mon image, la vraie, pas celle dont je m’affuble pour plaire au plus nombreux. Embrassant mon frère sur la joue, je suis partie – comme à l’accoutumée d’ailleurs – encore de plus de dix minutes. Alors, j’ai adressé un message à mon cavalier homo – du moins, j’imagine – pour l’avertir de mon manque de ponctualité.  

Alors qu’approchant, je l’aperçus au loin, je n’ai pu réprimer mon désir de lui sourire. J’essayais pourtant, si bien que la grimace est un mélange savant entre la grimace heureuse et le rictus maîtrisé. J’étais heureuse de le voir et, même s’il fallait qu’il me brûle à grands coups d’excuses sincères, je ne lui avouerais certainement pas. « Et bien. » lui lançais-je en croisant les bras pour feindre la contrariété. « Ça fait des jours que je t’attends… J’ai cru que tu me tirais la tête…pire, que tu avais rencontré quelqu’un et que tu nageais dans le bonheur en oubliant tes amis. » Dans ma voix, un soupçon de malice taquine somme toute appréciable. « Tu as intérêt à me faire passer une soirée d’enfer pour te faire pardonner. Sans quoi, je vais devoir garder ton cadeau d’anniversaire enfoui dans le fond de mon sac. » conclus-je en agitant devant ses yeux un petit paquet cadeau. Ce n’était pas grand-chose. Juste une attention. Une attention qui, pourtant, ne manquerait pas de lui faire plaisir.