Le port de la ville. Il y a quelques années, Lussy venait souvent passer des après-midis complets à contempler les bateaux, l’eau, l’océan, les passants… Tout, en somme. Ça l’inspirait pour composer des chansons, avec les membres de son groupe. Elle aimait être une inconnue parmi d’autres inconnus, ses sens alertes, à l’affût de l’inspiration soudaine. Ça la détendait. Être seule dans son appartement minable ne lui disait rien, même que parfois, ça l’effrayait de faire face à un mur blanc. Faire face à l’infini, c’était effrayant. Aujourd’hui, pourtant, Lussy ne cherchait pas à provoquer l’inspiration en elle, non, elle cherchait simplement à se détendre après une journée merdique passée au salon du livre. Elle y avait fait la rencontre d’une auteure aux cheveux de feu, Lexie. Celle-ci était bien sympathique et Lussy s’était promis qu’elle essaierait de lire un de ses livres. Enfin, essayer car il fallait dire que la brunette n’était pas la plus grande lectrice du monde, oh ça non.

Mais, malgré sa rencontre avec l’écrivaine rousse, sa journée avait été banale. Elle n’avait rien fait, puisqu’elle n’avait pas à travailler aujourd’hui. Travailler... Plutôt sourire hypocritement à des gens qui venaient acheter des CD et des DVD, ouais. Dire qu’elle valait mille fois mieux que ça. C’est vrai quoi. Elle avait peut-être foiré ses études comme la dernière des connes, elle possédait une excellente mémoire, un esprit créateur et une certaine faculté d’analyse. Elle aurait été capable d’aller à l’université et de décrocher un beau diplôme qui aurait rendu Papa et Maman très fiers d’elle. Mais non. Ce n’était pas arrivé, et là elle se retrouvait comme vendeuse. Simple vendeuse. Au dernier échelon de l’échelle des professions. Au moins, elle n’était pas une prostituée. Une pute, pour dire les choses comme elles étaient. Ça aurait été le comble pour Lussy.

Vêtue d’une blouse bleu foncé aux manches courtes et d’un pantalon de sport blanc – deux pièces de vêtement qu’elle avait choisis au hasard ce matin, vraiment – la jeune femme se tenait debout, un peu à l’écart des passants qui passaient le regard baissé. Elle avait les bras croisés, sa main tenant fermement son iPhone, et les oreilles pleines de the Smiths. La musique légèrement déprimante la coupait du monde, littéralement, et ça faisait du bien. Ses cheveux, tombant sur ses épaules, cachaient les oreillettes et c’est sans doute pour cette raison que le jeune homme qui vint la déranger ne se douta pas un instant qu’elle ne l’écoutait pas. La brunette sentit cependant une présence derrière elle et elle tourna brusquement la tête, s’attendant à tomber sur n’importe qui sauf Jax. Le frère jumeau de sa meilleure amie, Teddie. Oh, génial. Monsieur allait encore se la péter, comme d’habitude – du moins, aux yeux de Lussy, il se la pétait. La jalousie et l’amitié ne faisaient pas bon ménage, il fallait dire. Lussy soupira bien fort en enlevant ses écouteurs de ses oreilles. « Si je vais bien ? Mouais, ça va, comme toujours. » Ah ! Quelle menteuse. Sa voix était cordiale, mais froide. « Mais, dis-moi plutôt comment tu vas, toi. Passé une bonne journée, assis huit heures d’affilée derrière ton bureau ? Laisse-moi te dire que je ne sais pas comment tu fais pour aimer un tel job. Si j’étais toi, je ne serais pas capable de tolérer autant de paperasse et tout ce qui vient avec. C’est pas emmerdant, à la longue ? » Si elle n’était pas Lussy, sans doute Jax aurait-il pris ses propos comme une blague, mais connaissant Lussy et sa légère animosité envers lui… Bah, tant pis s’il le prenait mal. Avec un peu de chance, il ne resterait pas bien longtemps.