Tu ferai mieux d'y aller, c'est ce qu'on t'avait dit. Cette fois, il avait vraiment des problèmes. Quel genre de problèmes, tu ne savais pas. On n'avait pas voulu te dire de peur que tu n'y ailles pas. Quel grand frère n'irait pas voir son petit frère à l'hôpital? Toi. T'as hésité, c'est sûr. T'as fini par y aller. Des années déjà que tu n'avais pas eu le courage de faire un pas vers lui, de lui adresser la parole, et maintenant tu allais le voir sur son lit d'hôpital? C'était ridicule, tu le savais bien. T'aurais du rester en dehors de tout ça. T'en avais été incapable. Toutes ces années, tu t'étais contenté de l'idée que très frères vivent quelque part dans cette ville, pas loin de toi. En bonne santé. Aujourd'hui, tu avais peur. S'il était arrivé quelque chose de grave à Victor, tu serai dévasté. Malgré tout ce que t'as fait, il reste ton petit frère. T'avais besoin de le savoir en sécurité et jusque-là, t'avais toujours pensé que c'était le mettre en sécurité que de le maintenir loin de toi. Plein de remords et le coeur lourd, tu étais arrivé à l'hôpital. A l'accueil, tu as demandé à voir Victor. On t'a demandé si t'avais un lien de parenté avec lui et tu avais eu un mal fou à prononcer ces quelques mots : « C'est mon frère. » On t'a souri, t'as été emmené jusqu'à sa chambre. Heureusement qu'on t'avait ouvert la porte, tu ne serai jamais arrivé à le faire sinon. Et voilà. T'étais devant lui, devant ton petit frère. Tu blêmis. Ce n'est pas les années qui l'avaient rendu difficile à reconnaitre, non. Tous ces hématomes... C'est quoi au juste? Un accident de voiture? Quelque chose te dit que ce n'est pas ça. Tu n'oses pas l'inspecter du regard, t'as trop peur de sa réaction. Tu restes bien sagement à proximité, il a d'ailleurs tourné la tête vers toi. Tu cherches à capter son regard mais n'y parviens pas. Pourtant, il te voit forcément. Peut-être qu'il a appris à t'ignorer aussi. Tu grimaces, t'étais prêt à partir en courant. T'avais pas imaginé que ça serait si difficile. Tu te sens con, tu sais même pas quoi dire. « Hum, c'est Clyde... Tu dois sûrement te souvenir de moi. Un peu. » T'es vraiment pas possible, fallait qu'à chaque fois tu ouvres la bouche, tu t'enfonces! Bien sûr qu'il te reconnaissait. Toi aussi, tu le reconnais. Tu l'as vu grandir. Aperçu plutôt.

Il n’y a pas pire. Rester des journées éveillé sans rien pouvoir voir. Simplement plongé dans  l’noir. Tu ne peux pas lire. Ni regarder la télé. T’es juste là, condamné à te perdre dans les méandres de ton esprits noircis par des idées sombres. T’aurais préféré crever. Ca ferait moins mal. Tu t’sens juste inutile. Un assisté. Incapable de faire les choses les plus simples par toi même.  
Il y a dix minutes, on est venu te voir. Un médecin. Il t’a refait les bandages. Puis t’as essayé de marcher avec lui. Avec ta canne d’aveugle. Tu te sentais stupide. A avoir peur de te prendre un mur. Ou quelqu’un. Puis t’as pensé à dehors. A tous ces gens qui ne regardent pas où ils vont. Alors t’as paniqué. Ca t’a pris comme ça. Ces tremblements à la con et cette besoin de tout détruire. Ce cœur qui bat trop vite. Trop fort. Tu t’es effondré comme un enfant. Alors ils t’ont ramené. Ils t’ont foutu dans ton lit. Seul.

T'attends. T'attends que le temps passe. Et alors, finalement, après de longues minutes, t’entends la porte s’ouvrir. Alors tu tournes la tête. Attentif. Ils se présentent tout le temps tes médecins. Pour pas te dérouter. Pour pas te faire paniquer. Mais là, que dalle. Le silence. Juste le silence. Tu l’entends s’approcher. Puis finalement, sa voix. « Hum, c'est Clyde... Tu dois sûrement te souvenir de moi. Un peu. » Un petit rire s’échappe de tes lèvres. Un rire nerveux. Un rire cynique. Connard. T’aurais probablement été le plus heureux des hommes avant. De le voir enfin s’intéresser à toi. Etre là pour toi. Mais là, ça ne fait qu’attiser ta colère. Alors tu lâches, d’une voix froide et distante. « J’connais qu’un Clyde, et c’est un connard » Tu te redresses un peu avant d’ajouter. « Ecoute … Va t’faire foutre. J’me suis débrouillé sans toi. J’ai pas besoin de ta pitié. » Ca te tue. Qu’il soit là après six ans. Après des tas de mots ignorés. D’appels désespérés. T’en veux pas toi, d’sa pitié. Tu le voulais lui. En entier. Mais c’est trop tard maintenant. Trop tard pour rattraper tout que qu’il a foiré.

T'avais peur de sa réaction. Au final, t'avais bien raison. T'es touché en plein coeur, t'avais pas mérité autre chose cependant. Quelque part, t'es fier de lui. Il est tellement grand ton petit frère, prêt à mordre. T'es surpris de l'entendre parler comme ça, tu savais pas qu'il en était capable. Y'a plein de choses que tu savais pas sur lui de toute façon, tu l'as laissé quand c'était un gosse. « C'est bien ce Clyde-là. » T'es pas au bout de tes surprises, il t'envoie carrément bouler maintenant. Tu souris, finis même par rigoler doucement. Tu te fous pas de sa gueule, non. T'es juste un peu nerveux. Quand les choses t'échappent d'habitude, tu fuis. Là, t'as pas trop le choix : tu t'empresses de rire pour ne pas te mettre à pleurer. C'est triste. T'es triste. Tu soupires, tu sais pas trop quoi faire. Il est encore temps de faire demi-tour. T'en fais rien néanmoins, tu restes là. Tu regardes ton petit frère et toutes ses marques horribles. T'as besoin de savoir. « Je suis pas là parce que j'ai pitié Victor. » Un ton ferme, tu te sens ridicule. Ça ne servait plus à rien de prendre ce ton-là maintenant. T'es un étranger pour ton frère. Un nouveau soupire. Tu fouilles la pièce du regard à la recherche d'un indice sur l'état de Victor. Rien. Tu n'avais que son corps meurtri. Alors, ça finit par sortir. « T'as fait ça comment? » T'espères sincèrement avoir une réponse mais t'y crois pas trop. Il va t'envoyer chier. Encore. Et ce serait normal. T'as plus aucun droit sur sa vie, te mêler de ses affaires est une erreur. Et pourtant. T'es là, t'attends tes explications comme si tu pouvais y avoir le droit. T'imagines le pire, un règlement de compte peut-être. Tu laisseras jamais faire ça. Veiller sur tes frères, même de loin, c'était toujours aussi important pour toi. T'es vraiment bizarre.

Tu l’entends rigoler. Un peu. Un peu comme toi en fait. Tu sais bien que c’est pas un rire de mec heureux, mais ça t’énerve. Ca t’énerve quand même. Tu sers le poing pour tenter de contenir cette rage qui s’est emmagasiné dans ton petit corps depuis des années. Ces putains d’années d’absence.
T’aimerais comprendre toi. Pourquoi il s’est barré comme ça ? Pourquoi il t’a laissé du jour au lendemain. Sans un mot. Sans une raison. T’aimerais savoir. Parce que c’est un truc qui t’a toujours travaillé. Ce putain de pourquoi ? Est-ce que c’était si dégueulasse que ça d’être avec toi ? Est-ce que tu mérites vraiment ça ? Que ton père se barre. Que ton frère se barre. Comme si t’étais fait pour ça. Qu’on t’abandonne comme un con.

« Je suis pas là parce que j'ai pitié Victor. T'as fait ça comment? » Bien sur. Il est pas là parce qu’il a pitié.  Une nouvelle fois, un rire s’échappe de ta gorge nouée. « C’est ça, fous toi d’ma gueule. T’es là pourquoi alors ? Tu t’es réveillé ce matin et tu t’es dis ‘tiens, j’vais aller voir mon frère, ça fait longtemps’ » Tu les sens les larmes. Tu les sens te monter. La gorge serrée pour pas chialer. Tu te mets à gueuler cette fois ci. « SIX ANS. SIX PUTAINS D’ANNEES ET TU TE REVEILLES POUR ME DEMANDER COMMENT J’AI FAIS CA ?! » T’as dégagé le drap. Comme pour te lever. T’as envie de lui frapper dessus. De lui faire subir tout ce qu’il t’a fait subir avec ses six années d’absence. Lui faire mal. Vraiment mal. Mais tu peux même pas. Parce que tu l’vois pas. Et parce que t’as mal. Partout. Tout le temps. Tu peines déjà à marcher avec les médecins. Alors seul …

Tu regardes dans le vide. Les yeux brillants.  T’arrives même plus à parler. Tu sais très bien que si tu essaies une nouvelle fois, les larmes vont finir par couler. Pourtant, tu t’obstines. « … Qu’est ce que ça peut te foutre Clyde … ? Hein ? T’étais où quand j’avais besoin de toi ? » Il t’ignorait. Tous ces appels à l’aide que t’as pu lancer. Ces petites rencontres faussement incongrues. Toutes les fois où t’as appelé son prénom avant qu’il ne se barre sans même un regard. Ignoré. Juste ignoré.
T’essuies tes yeux. Tes yeux qui te permettent même plus de voir mais qui arrivent toujours aussi bien à pleurer. Putain. T’aurais préféré ne plus pouvoir pleurer.

Tu secoues doucement la tête. Comment lui dire? Non, tu n'avais pas soudainement eu d'illuminations. Tu n'étais pas allé voir Victor sans qu'on te le suggère de le faire. Ce n'était pas ton idée. D'ailleurs, elle est mauvaise cette idée. Etonnant que ce soit pas la tienne finalement. Tu sais pas quoi répondre, tu gardes alors le silence. Il hurle, tu baisses la tête. Pour une fois, tu fais pas le fier. T'as aucune débilité à dire, rien de drôle. D'ordinaire, tu balayes ta gêne par une remarque puérile, ta spécialité, mais là t'étais à moitié tétanisé devant ce petit frère que tu avais abandonné des années auparavant. Six ans. La culpabilité t'écrase, tu te demandes pourquoi il t'a pas déjà frappé. Tu comprends pas, tu vois pas qu'il est incapable de te visualiser. Tu entends sa voix se briser, tu relèves la tête pour voir l'émotion le gagner. T'as envie de le prendre dans tes bras, de le rassurer... Tu aurais tort. Tu n'es pas là pour ça. Tu ne sera plus jamais là pour ça, ça fait six ans que t'as renoncé. Tu détournes les yeux, te mords les lèvres avant que ton attention se porte sur un objet que tu ne connais pas très bien. Une canne blanche. Ça va vite dans ta petite tête. Tu cherches les yeux de ton petit frère, son regard. Il ne t'ignore pas... Il ne te voit pas. T'es tout pâle d'un coup. « Et je dois dire quoi? Pardon? Tu sais très bien que ça changerait rien. Je suis venu que pour savoir que tu allais bien. On peut pas dire que ce soit le cas... » Ta voix tremble un peu, tu passes une main sur ton front. Tu t'approches de Victor, tu veux être sûr. Tu fais des petits signes avec tes mains, il ne réagit. Tu pestes. « Qu'est-ce qu'il s'est passé? Pourquoi tu ne vois plus? » T'avais eu du mal à aligner tous ces mots. T'es pas si con faut croire, t'as compris. T'es en colère. Tu sais à quoi ressemble Victor. Un mec tabassé. Pourquoi? Qui pouvait en vouloir comme ça à ton petit frère? Tu sers les poings, t'as une furieuse envie de cogner quelqu'un. De préférence celui qui a mis ton frère dans cet état. « Qui? » finis-tu par grogner. Tu veux savoir. Victor est autant un Wright que toi, tu le vengeras.

« Et je dois dire quoi? Pardon? Tu sais très bien que ça changerait rien. Je suis venu que pour savoir que tu allais bien. On peut pas dire que ce soit le cas... » Tu l’entends. Sa voix qui tremble. Tu l’entends l’émotion dans sa voix. Pourtant, tu préfères faire abstraction. C’est plus facile. Tu préfères rester sur l’idée qu’il est le plus gros des connards. La boule est toujours là. Tu tentes de la contrôler. Pour te pas te laisser aller. Pas devant lui. Tu veux pas. Tu veux pas qu’il te voit encore plus misérable que tu ne l’es. T’as grandi. Sans lui, mais t’as grandi. Alors tu tentes de maitriser ta voix. Pour qu’elle ne tremble pas. Pour dissimuler l’émotion. La douleur. « Super. T’as vu maintenant, tu peux t’barrer ».

Tu sais même pas quoi lui dire à ton frère. Il sait rien de toi. Rien. Tes rêves. Tes peurs. Tes doutes. Alors oui, tu le sais. Son pardon ne changerait rien. Parce que les années d’absences seraient toujours là. Pourtant, tu l’aimerais bien toi, ce pardon. Ou tout du moins, une petite preuve de regret. Ou mieux encore, une raison pour cette absence.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé? Pourquoi tu ne vois plus? » Tu l’entends sa colère. Dans sa voix. Pas besoin de voir son visage pour ça. Tu veux même pas répondre à ça. Et puis, tu lui dirais quoi ? Qu’un mec t’a tabassé à mort parce que tu couchais avec son meilleur ami ? Mais putain, il sait même pas que t’aimes les mecs ton frère ! Tu sais pas quoi dire. Quoi répondre. Alors tu dis rien. Tu la fermes.

« Qui? » Ca y est. T’as compris qu’il avait compris. Dans sa voix. Pourtant, tu préfères faire comme ci. C’est plus facile. « Qui quoi ? » Et puis, il veut quoi ? Que tu lui dises ? Et pourquoi ? Pour te venger ? Aller quoi. Il a pas été foutu de faire un truc pour toi. Alors pourquoi ? C’est trop facile ça. De s’pointer. Casser quelques gueules. Puis repartir. Merde quoi. « Roh, puis va t’faire foutre. Jt’ai deja dis, j’ai pas besoin de ta charité. » Tu fermes les yeux quelques secondes. T’as envie de lui dire. Tout. Tout ce que t’as sur le cœur.  Une fois pour toute. « T’es plus rien Clyde. Tu comprends ça ? T’es pas mon frère. T’es rien. T’es qu’un connard qui a préféré m’ignorer pendant toutes ces années. J’avais besoin de toi moi tu vois ? J’avais besoin de mon frère. Jt’ai appelé. Mais j’avais beau gueuler ton nom, tu t’es jamais retourné. Alors tu vois, aujourd’hui, c’est à moi. Va t’faire foutre. »

T'encaisses. Ça fait mal mais tu prends en silence. Tu cherches pas à te justifier, t'es incapable d'assumer ce que t'as fait. Ton frère est devenu un inconnu. La chair de ta chair, le sang de ton sang. Une décision que t'avais pris tout seul, te foutant encore une fois du mal que tu pouvais faire aux tiens. Ça avait été clair pour toi au moment où tu as franchi le seuil de la porte du domicile familial : tu n'avais plus de famille. Ça ne t'a pas empêché de les aimer toutes ces années. Même ta mère, tu peux pas le réprimer : tu l'aimes. Faut croire que c'est comme ça que tu aimes les gens... De loin. Victor veut que tu te barres. T'as un sourire mauvais mais t'es pas franchement étonné. Tu t'étais pas attendu à ce qu'il te saute dans les bras. Tu l'avais imaginé un peu plus coopérant, c'est sûr, mais tu t'étais trompé. Ton petit frère n'est plus le même. Six ans, ça peut tout changer. Tu secoues la tête en signe de négation ce qui est un peu con parce qu'il te voit même pas. Tu finis par t'en rendre compte, te figes avant d'être à nouveau envahi par des envies de meurtre. Tu sais bien que Victor fait mine de ne pas comprendre où tu veux en venir et ça te met encore plus en colère. Tu soupires. Tu t'apprêtes à rétorquer quelque chose mais Victor t'assassine littéralement à ce moment-là. Ton coeur se serre, tu poses la main sur sa poitrine, ça fait un mal de chien. T'es plutôt content que Victor te voit pas faire. T'es rouge. De colère ou de honte, peut-être même les deux. T'as envie de secouer Victor comme un prunier, de lui hurler que tu l'as toujours aimé ce petit frère. T'en fais rien. Ça aurait été beau, pourtant. Il t'aurait certainement pas pardonné mais ça aurait été un début. A la place, tu grognes une nouvelle fois. « Je suis rien. D'accord. » Tu hoches la tête comme pour mieux accepter la nouvelle. Tu t'en doutais depuis le temps. L'entendre, le savoir, c'était pire que de l'imaginer. « C'est bon? T'as fini? Y'a autre chose que t'as besoin de me vomir à la gueule Victor? » Tu t'énerves. C'est tellement typique comme réaction chez toi quand t'es blessé.

Tu détestes ça. Trembler comme ça. Sentir l’émotion de dégommer. Tu te sens tellement faible. Comme le putain de gamin que tu as cessé d’être. Tu devrais être soulagé de lui avoir enfin sorti tout ce que tu as sur le cœur. Pourtant, tu te sens presque coupable de lui avoir craché tout ça à la gueule. Parce que tu sais très bien que ces mots sont douloureux. C’est un peu comme une vengeance. Une vengeance coupable. « Je suis rien. D'accord. » Tu l’entends la douleur. Dans sa voix. Comme si elle était plus difficile à dissimuler que lorsque tu voyais. « C'est bon? T'as fini? Y'a autre chose que t'as besoin de me vomir à la gueule Victor? » Le voilà qui s’énerve. Comme si c’était à lui de s’énerver. Alors tu sers le poing. Pour te contenir.

« … Tu t’attendais à quoi Clyde ? » C’est vrai quoi ? Est-ce qu’il croyait vraiment qu’il pourrait revenir comme ça ? Comme si rien ne s’était passé ? « … Tu m’as jamais reparlé depuis mes douze ans. Sans aucune raison. Tu t’es juste barré. » T’as la voix qui flanche un peu là. Un peu déraillée. Avec cette putain d’émotion. « Tu t’attendais à quoi franchement ? A ce que je le prenne bien ? Que je réagisse pas ? T’as pas le droit de me traiter comme ça … » C’est même plus de la colère. T’es calme cette fois ci.
C’est affreux. Cette façon que ton frère a de te faire osciller entre la colère et l’émotion. Ces deux sentiments qui se balancent en toi. Ce désir de lui faire payer et celui de comprendre. Ca fout l’bordel dans ta tête. Dans ton cœur.

« … Tu sais même pas qui j’suis Clyde. » Cette phrase, elle résonne. Dans ton cœur. C’est comme un écho douloureux. Il sait pas. Il te connaît pas. Ton propre frère. C’est douloureux.

C'est vrai que t'es gonflé. T'es même un putain d'égoïste quand on y pense. Tu te souviens pas d'une personne t'ayant connu qui n'avait pas fait ce constat. C'est le bordel partout où tu passes, des fois tu comprends même pas comment tu peux en arriver là. Victor enchaine les questions auxquelles tu n'as pas de réponse. Tu fermes les yeux comme pour chercher les mots, la concentration, mais ça vient pas. Comment expliquer ça? La vérité c'est que t'étais blessé. Tu t'es senti rejeté. Pas par tes frères, c'est vrai. Par ta mère. Mais tu t'es vengé en les ignorant eux. C'était plus facile aussi. T'avais oublié ta vie de famille. Enfin, t'essayais. Avec tes frères auprès de toi, tu te serai sans cesse souvenu que t'avais pas été à la hauteur. T'avais pas été à ta place dans ta propre famille. Encore une phrase, une de trop. Y'a quelque chose en toi qui se brise. C'est vrai. Tu le connais pas. T'en as gardé des souvenirs, c'est sûr. Mais depuis ses douze ans, il a forcément évolué et t'avais pas été là. « Non, c'est vrai. » Qu'est-ce que tu pouvais dire d'autre? Il a raison et reconnaitre tes torts ne lui fera sûrement pas de mal. « Je sais ce que j'ai fait. T'as raison, j'ai pas le droit de te traiter comme ça. Je... » Ce début de phrase reste en suspens, tu trouves plus tes mots. « Rien » finis-tu par conclure bien malgré toi. T'étais persuadé qu'avec même la plus belle des explications, ça ne s'arrangera pas. Jamais. Comment ça pouvait être le cas de toute façon? Tu l'as abandonné. C'est impardonnable.

« Non, c'est vrai. » Il l’admet au moins. Il l’admet qu’il ne te connaît pas. Qu’il a tout raté. Vous qui étiez si proches. Il était ton modèle. Vraiment.
T’as la gorge toute serrée. Puis tu sais pas quoi dire. Tu sais plus. Y’a toutes ces pensées qui sont déjà sorties. Toutes celles qui ont pu te traverser l’esprit pendant toutes ces années. « Je sais ce que j'ai fait. T'as raison, j'ai pas le droit de te traiter comme ça. Je… Rien »  Tu soupires. Rien.

Rien.

Ca définie tellement bien votre relation ça. Rien. Ce trop pleins de rien. Des riens douloureux. « quoi… ? » Tu dégluties. Un peu. « Pourquoi rien ?! » Y’a ton cœur qui bat fort. Trop. Y’a la machine qui bip. Elle s’agite pour prévenir que ça va pas. Que ça bat trop. Et c’est pas bon ça. Alors y’a l’infirmière qui débarque. « Vous devez partir monsieur. Monsieur Wright doit se reposer » Alors tu te redresses toi. Un peu trop brusquement. Ca te fait mal aux cotes. « Nan ! Pourquoi rien ?! » Mais elle l’emmène l’infirmière. Elle tire Clyde pour le sortir de la chambre. Pendant que tu t’agites.  Comme un con. Tout seul. Tu fais bipper ta putain de machine.

Et alors, tu te retrouves seul. Seul au monde.
Tu viens de revoir ton frère.
Tu viens de parler à ton frère.

… Et surtout, tu l’as engueulé. T’as eu le courage de l’engueuler. Lui qui t’a tant blessé.

Pourquoi rien? Parce que les mots sortent pas, parce que tu sais pas comment expliquer ce que t'as été capable de faire. T'es même pas sûr d'avoir envie d'être pardonné. Pourquoi faire? Le fait que Victor se soit retrouvé dans ce lit d'hôpital ne change absolument rien au problème initial. T'as choisi de partir, t'as choisi de lui tourner le dos. A ta mère. A Victor. A ton autre frère. Désormais, il n'y a plus que le sang pour vous lier. Tu sais bien que t'es devenu un inconnu, un bon comme un mauvais souvenir, un stigmate lointain. Pourquoi changer le présent? T'as eu peur pour Victor, c'est vrai. Tu fera tout pour amocher la gueule du connard qui a osé lui faire ça mais ça s'arrêtera sûrement là. T'es incapable d'admettre que tu ferai tout pour que ça s'arrange, que tu ferai tout pour remonter six ans en arrière pour ne jamais avoir à te séparer d'eux. De toute façon, c'est beaucoup trop tard. Victor s'énerve, gigote, sous ton regard impuissant. Le moniteur à côté de lui se met à bipper, tu commences à paniquer. Ça peut pas se taire ce truc-là?! T'y touches, espérant trouver une solution mais quelqu'un vient chasser tes mains de là. Une infirmière. Tu dois partir. Tu grimaces. Tu sais pas vraiment pourquoi mais t'as pas envie. Tu serai bien resté des heures ici finalement. Pas à t'expliquer avec Victor, non, ça c'était un supplice. A le regarder dans un coin dans la chambre plutôt, à imaginer à travers les traits de son visage que tu aimerais connaitre par coeur comme avant tout ce qu'il a vécu sans toi. T'es un peu maso faut croire. Totalement en fait. Tu bouges pas. Alors on te sort de là. Forcément. T'as même pas répondu à sa question. Tu l'as laissé dans le flou comme tu l'as fait y'a six ans en ne lui expliquant pas pourquoi tu le quittais. Tu te sens con devant la porte de la chambre d'hôpital. Mais c'est pas grave. Tu te concentres sur autre chose, ça te permet de pas te noyer dans tes regrets. Ce mec. Tu sais pas qui c'est. Tu finiras bien par le savoir quitte à mener une enquête à la Sherlock. T'as besoin de savoir. C'est sûrement parce que tu te sens coupable. Ça n'aurait jamais du arriver. T'aurais du être là pour le protéger, pour massacrer à coups de pieds et poings quiconque aurait osé l'approcher. T'as jamais été là.